Émission du mardi 16 avril 2019
Le Pitch - Cinéma- Émissions culturelles
- 1 min 59 s
- tous publics
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EL REINO de Rodrigo Sorogoyen
Avec Antonio de la Torre, Monica Lopez et Nacho Fresneda
Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu'il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal...
• Prix de la Critique au Festival International du Film Policier de Beaune 2019
• 7 Goya : meilleur réalisateur, meilleur acteur pour Antonio de la Torre, meilleur second rôle masculin pour Luis Zahera, meilleur scénario original, meilleure musique originale, meilleur son, meilleur montage.
Le réalisateur Rodrigo Sorogoyen souhaitait évoquer, avec sa co-scénariste Isabel Peña, la situation politique préoccupante en Espagne où les affaires de corruption ne cessent de se multiplier depuis quelques années : « La violence ici c’est la corruption – pas seulement politique mais aussi humaine. C’est le mensonge comme manière de vivre. Aucun film n’avait encore été fait sur la corruption espagnole d’aujourd’hui, et nous savions dès le début que le film serait raconté du point de vue du politicien corrompu, du voyou, celui qui, dans un film classique, serait le rival, l’ennemi. C’était un défi, mais aussi cela rendrait le film plus riche et surtout nous aiderait à aller plus loin dans le traitement de ce sujet. Nous voulions que le spectateur accompagne ce politicien corrompu dans ses péripéties. Le film ne raconterait pas comment des agents de la force publique ou des journalistes intègres dévoilent un réseau de corruption, mais l'histoire d'un homme qui a volé le contribuable pendant des années et est découvert. Sauf qu’au lieu d’assumer sa faute et accepter sa culpabilité, il s’oppose à tout et à tous pour ne pas finir en prison. Nous ne voulions pas juger ce politicien corrompu, nous souhaitions nous demander : ‘ Pourquoi ? ’ Pourquoi agit-il ainsi, et surtout pourquoi, une fois qu’il est découvert, au lieu de demander pardon et accepter sa condamnation, dans la majeure partie des cas, il préfère mentir jusqu’à l’épuisement de ses arguments ? Voilà pourquoi nous avons choisi de faire de Manuel López-Vidal le personnage principal du scénario. Et nous nous sommes fixés une règle : tout serait raconté à travers son regard. »
Afin de s’approcher davantage du caractère humain du film plutôt que de son caractère politique le réalisateur a pris le parti de ne pas préciser à quel parti le héros appartient, suggérant que la corruption est partout :« Nous savions que la ‘ multi-localisation ’ de la corruption politique nous aiderait à évoquer cette réalité. Autrement dit, nous ne voulions pas citer un parti en particulier. Nous avons pris soin de ne jamais nommer le parti fictif auquel Manuel appartient et l’avons doté de caractéristiques des deux principaux partis nationaux, afin que l’on ne sache pas auquel nous nous référions précisément, ou plutôt, pour qu’il soit clair que nous pouvions faire référence à n’importe lequel des deux. Rappelons-nous que le film se passe en 2007, quand il n’y avait que deux partis prédominants en Espagne et que les alternatives récentes n’étaient pas encore apparues. De plus, il était indispensable de ne jamais nommer la ville où se passe l’action. Nous avons tourné dans des lieux impersonnels qui peuvent représenter n’importe quelle ville espagnole. J’ai aussi souhaité faire en sorte que toutes les composantes nationales soient représentées dans le casting. Sur les dix personnages principaux, nous avons plusieurs Castillans, plusieurs Catalans, plusieurs Andalous, une Canarienne, un Galicien, un Valencien… Cela contribue à cette idée de ‘ multi-localisation ’ du phénomène. »
Pour le cinéaste, la musique et la photographie ont une capacité narrative et de ce fait évoluent tout au long du film. « Avec mes collaborateurs Olivier Arson et Alex de Pablo, respectivement compositeur de la musique et directeur de la photographie, nous sommes animés par le goût de l’expérimentation dans la narration. Nous avons voulu transcrire l’évolution psychologique de Manuel par ces deux moyens très concrets. Pour la musique, nous passons d’une musique festive et de mélodies agréables au début à des thèmes beaucoup plus sombres, paranoïdes et répétitifs. Cela reflète bien l’idée que Manuel, un homme qui a tout au début, va, petit à petit, tout perdre et se retrouver dans une spirale de trahisons et de fuite en avant. Si on compare la première musique du film avec la dernière, on peut clairement voir cette évolution. Nous avons utilisé la même idée pour la photographie. Nous avons séparé le film en deux moitiés bien distinctes. La première se passe en été, tout y est plus coloré, agréable, lumineux ; Manuel n’est pas encore bien conscient de ce qui lui tombe dessus. La seconde partie a lieu en hiver, quand il plonge dans ce cauchemar où il se retrouve seul. Nous avons choisi un traitement photographique contraire : une lumière dure, triste, sombre, qui rend le souvenir de la première partie encore plus violent. J’aime que tous les éléments cinématographiques d’un film, qui possèdent chacun une grande capacité narrative, aillent dans la même direction. »
WORKING WOMAN de Michal Aviad
Avec Liron Ben-Shlush, Menashe Noy et Oshri Cohen
Orna travaille dur afin de subvenir aux besoins de sa famille. Brillante, elle est rapidement promue par son patron, un grand chef d'entreprise. Les sollicitations de ce dernier deviennent de plus en plus intrusives et déplacées. Orna prend sur elle et garde le silence pour ne pas inquiéter son mari. Jusqu’au jour où elle ne peut plus supporter la situation. Elle décide alors de changer les choses pour sa famille, pour elle et pour sa dignité.
En 2007, une amie de Michal Aviad est venue chez elle avec une collègue qui lui a raconté comment elle avait été sexuellement harcelée par son patron pendant trois ans. La plupart du temps, cela prenait la forme d’une menace constante et tacite. La réalisatrice se rappelle : « Elle avait besoin de ce travail et croyait qu’elle pourrait encaisser, jusqu’à ce qu’elle fasse une dépression nerveuse. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris comment le harcèlement sexuel pouvait se produire au fil du temps et impliquer une dépendance psychologique et économique. J’ai senti que je pouvais bâtir un film à partir de cette histoire.»
En amont du tournage, Michal Aviad a fait des recherches sur de nombreuses problématiques. Elle a commencé par essayer de comprendre comment la notion de harcèlement et les lois mêmes qui le pénalisent aujourd’hui avaient évolué à travers le temps. La cinéaste a aussi rencontré des avocates spécialisées dans les relations de travail qui représentaient des victimes à la cour. « Elles m’ont rapporté des comportements choquants et de nombreux récits d’employées à qui on permettait de garder leurs jobs uniquement si elles avaient des relations sexuelles avec leur patron. À peu près au même moment, des allégations d’agressions sexuelles qui mettaient en cause des hommes puissants dans le monde entier, comme Strauss-Kahn ou Berlusconi, ont commencé à faire la une des journaux. Lorsque je me suis mise à écrire, ce n’était pas le matériau qui manquait ! », confie Michal Aviad.
« Working Woman » a mis trois ans pour se faire. En Israël, la plupart des films sont financés avec des fonds publics et la compétition est dure. « On avait du mal à convaincre les lecteurs que notre film valait le coup d’être produit. ‘ Il ne se passe rien ’, ‘ Où est le drame ? ’, pouvait-on entendre. N’est-ce pas édifiant qu’un tel drame dans la vie d’une femme soit considéré comme un événement si peu dramatique au cinéma ? », raconte Michal Aviad.
Michal Aviad revient le casting des acteurs. Liron Ben Shlush interpréte Orna : « Nous avons auditionné une quarantaine de comédiennes dont beaucoup ont tenu à me raconter leur propre histoire de harcèlement sexuel. Lorsque nous avons visionné les essais, j’ai su immédiatement que Liron était la bonne. Elle ne m’a rien raconté du tout, mais il y avait chez elle un mélange de force et de fragilité qui m’a fait comprendre tout de suite qu’elle était Orna. Je l’ai appelée dans la seconde pour le lui dire. Elle m’a demandé les dates du tournage, je lui ai répondu en mai. Et là, elle m’a annoncé qu’elle était enceinte de vingt semaines, tout en promettant qu’elle serait sur le plateau juste après avoir accouché, début juin. J’étais convaincue qu’elle était mon héroïne et je savais aussi pertinemment qu’elle ne pourrait pas tourner juste après avoir accouché. Alors, avec le soutien total de mes producteurs, on a reporté le tournage au mois d’octobre pour laisser le temps à Liron de passer quelques mois avec son bébé. »
Pour le rôle de Benny, le choix s’est porté sur Menashe Noy : « Pendant le casting, deux des acteurs les plus célèbres en Israël ont été accusés de harcèlement sexuel. Je pensais que Menashe serait parfait pour le rôle de Benny mais j’ai quand même envoyé le scénario à d’autres comédiens pour être sûre. Certains d’entre eux ont purement et simplement refusé le rôle, et un autre a quasiment voulu le réécrire. Cela ne pose donc aucun problème d’interpréter un meurtrier, un homme violent, mais un harceleur, si ? »
Les deux acteurs ont beaucoup travaillé pour préparer leurs rôles. La réalisatrice explique : « Avec Liron, on a travaillé de chez moi en discutant de chaque scène, de chaque pulsation, on s’est raconté nos vies et on est devenues très proches. J’ai travaillé de la même façon avec les acteurs. Ensemble, nous avons changé des dialogues et des bouts de scène, construit les personnages et appris à se faire une confiance aveugle sans répéter les émotions des personnages. Nous étions tous d’accord pour laisser la place à l’improvisation pendant le tournage, sauf pour les scènes de sexe. Menashe Noy n’en pouvait plus d’être confronté à des réalisateurs qui n’osaient pas lui dire quoi faire dans ce genre de scènes et lui demandaient : ‘ Tu veux boire un verre ou fumer un joint pour te détendre ? ’. Non, ce que Menashe voulait, c’était être dirigé. Quant à Liron, elle désirait savoir exactement ce qui allait se passer pour pouvoir se concentrer sur ses sentiments sans avoir l’impression d’être manipulée. Je trouve immoral de surprendre les acteurs dans ce type de scènes. Nous avons donc décidé de répéter méticuleusement toutes les scènes de sexe quelles qu’elles soient. Liron et moi avons aussi rencontré des agents qui vendaient des appartements en les observant au travail. Avec Menashe, nous sommes allés à la rencontre d’agents immobiliers qui nous ont amenés sur leurs chantiers, ce qui nous a permis de réaliser à quel point ce sont des hommes de pouvoir. »
Le film a été tourné au moment où est né le mouvement ≠MeToo – selon la réalisatrice, le film n’est pas forcément au cœur du débat : « Oui, car je suis contente que le film sorte au moment où l’on est dans une refonte globale d’un vieux système. Non, parce que mon histoire est différente de celles de #MeToo. Orna n’est ni riche, ni célèbre et elle ne fait pas les gros titres des journaux. Elle est comme des millions de secrétaires, de femmes de chambre, d’infirmières ou d’assistantes personnelles qui ont trop à perdre si elles parlent. »
** BONUS **
LE CERCLE DES PETITS PHILOSOPHES de Cécile Denjean
Quel est le sens de la vie ? Pourquoi on vit ? Pourquoi on meurt ? Qu'est-ce-que l'amour ? Ces questions, le philosophe et auteur à succès Frédéric Lenoir, les a posées à des enfants de 7 à 10 ans, au cours d'ateliers philosophiques qu'il a mené dans deux écoles primaires durant une année scolaire. Il nous invite à partager les pensées de ces enfants, qui se confrontent à la complexité du monde et la violence de leurs émotions.
La réalisatrice revient sur la genèse du projet : « Lorsque j’ai rencontré Frédéric Lenoir, il avait déjà commencé à animer des dizaines d’ateliers de philosophie avec des enfants. Il trouvait cette pratique tellement fructueuse qu’il envisageait de créer une fondation pour l’étendre à large échelle. Persuadé que cet enseignement pourrait changer le monde en une génération, il m’a proposé de réaliser un film qui montrerait ce que vivent les enfants qui ont la chance de faire régulièrement ces ateliers de méditation et de philosophie à l’école. »
Le film a été tourné dans deux écoles primaires de la région parisienne avec des enfants de 7 à 11 ans de cultures d’origine et de milieux sociaux différents afin qu’on les oublie pour se focaliser sur l’essentiel : « Nous avons tenté de saisir les idées, les rêves, et les émotions qui passaient à l’intérieur de leurs têtes. Emotion de voir les pensées jaillir, se frotter l’une à l’autre, se modifier, s’approfondir, dans un va-et-vient permanent entre individuel et collectif. Emerveillement lorsque pour la première fois un enfant ose formuler une pensée propre, originale, bien à lui, qu’il a élaborée lui-même, qui ne soit pas la répétition de celle d’un plus grand que lui. Espoir de voir qu’on peut enseigner l’esprit critique aux enfants, les entrainer à ne croire ni n’importe quoi ni n’importe qui, à préciser leur opinion, à argumenter, à s’écouter les uns les autres. Etonnement de recueillir leurs voix intérieures, brutes, sans filtre, parfois violentes, parfois immensément tendres. La philosophie pour enfants n’est pas une invention de Frédéric Lenoir. Développée par le philosophe et pédagogue Matthew Lipman, elle est pratiquée depuis les années 1970 aux Etats-Unis. En France, certains enseignants la proposent ici et là, mais de manière très sporadique, car cet enseignement se heurte encore à des résistances, même si l’association SEVE a reçu en 2017 l’agrément de l’Éducation Nationale. L’originalité de Frédéric Lenoir est de précéder l’atelier philo par un petit temps de méditation. »
Frédéric Lenoir s'émerveille encore par la capacité des enfants à s’emparer de questions existentielles, à argumenter, à débattre… à devenir de petits philosophes !
Philosophe et sociologue, Frédéric Lenoir donne des conférences dans le monde entier sur des thèmes de philosophie existentielle. Écrivain, il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages (essais, romans, contes, encyclopédies, BD), traduits dans une vingtaine de langues et vendus à plus de six millions d’exemplaires. « Pourquoi attendre la classe de terminale pour aborder le questionnement des thèmes existentiels : l’amour, le respect, le bonheur, le sens de la vie, les émotions, etc. ? Les ateliers philosophiques que je mène montrent une étonnante capacité des enfants à penser. Au-delà des concepts, ils y apprennent les règles du débat d’idées et développent leur discernement et une réflexion personnelle (…) Platon et Aristote nous disent que la philosophie commence avec l’étonnement. Or les enfants ont cette grande qualité : ils s’étonnent ! Les adultes et les adolescents s’étonnent beaucoup moins. C’est presque plus facile de faire de la philosophie avec un enfant de 7 ans qu’avec un adolescent de 15 ans. Comme le rappelait Montaigne, on devrait surtout proposer aux enfants, dès le plus jeune âge, d’avoir une tête bien faite, plutôt qu’une tête bien pleine. Plutôt que d’assimiler des concepts (ce qui se fait en terminale), les enfants pourraient apprendre à débattre en respectant des règles, à développer l’esprit critique, le discernement, ainsi qu’une pensée personnelle reposant sur des arguments rationnels, et pas sur des croyances ou des opinions. C’est la raison pour laquelle je suis convaincu qu’il faudrait commencer à philosopher non pas en classe de terminale, mais à l’école primaire... or cela se pratique déjà, de manière certes marginale, depuis une trentaine d’années, et je l’ignorais ! ».