Le Pitch Cinéma du 7 novembre 2017
Le Pitch - Cinéma- Émissions culturelles
- 4 min
- tous publics
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PRENDRE LE LARGE de Gaël Morel
Avec Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou et Kamal El Amri
Edith, 45 ans, ouvrière dans une usine textile, voit sa vie bouleversée par un plan social. Loin de son fils et sans attache, plutôt que le chômage, elle est la seule à choisir de rejoindre son usine délocalisée au Maroc…
C'est en évoquant avec son père la situation du textile à Villefranche-sur-Saône, où il a longtemps travaillé lui-même comme ouvrier, que Gaël Morel a eu l’idée de cette femme qui accepte un reclassement au Maroc. Le cinéaste a ainsi voulu, avec « Prendre le large », rendre hommage au milieu ouvrier d’où il vient. Il explique : « Le textile est complètement sinistré dans ce département et les délocalisations y sont nombreuses. À Tarare, non loin de Villefranche, 80% des usines ont mis la clé sous la porte. Quelques-unes sont encore en activité dans ce bassin, parmi lesquelles celle où a travaillé mon père. J’ai eu la chance de pouvoir tourner dans ce décor si important pour moi toutes les séquences montrant le personnage d’Edith au travail en France. »
Gaël Morel a choisi de situer l'intrigue du film au Maroc car c'est le seul pays d’Afrique du Nord qui offre autant de sécurité aujourd’hui, mais aussi parce que ce pays est associé aux vacances. Ainsi, imaginer ne Française mener une vie d’ouvrière au Maroc, loin des images de cartes postales, créait un phénomène de singularité. C’est le producteur exécutif au Maroc, Frantz Richard, qui a présenté à Gaël Morel, parmi d’autres possibilités de décors, une usine allemande délocalisée à Tanger qui correspondait exactement à ce qu'il avait en tête en écrivant le scénario : « C’était essentiel pour pouvoir rendre compte de la manière dont ces usines fonctionnent et restituer la vérité de leur activité quotidienne, notamment le bruit presque insoutenable qu’on entend dans les ateliers. Vient s’y ajouter celui de la musique diffusée aux ouvrières pour accélérer leur rythme - j’ai dû le retirer au montage, aucun spectateur n’aurait pu tenir. J’avais besoin de ce terreau de réalité pour construire ma fiction » se rappelle le metteur en scène.
Le réalisateur revient sur le choix de Sandrine Bonnaire pour interpréter Edith : « Sandrine fait partie de mes désirs originels de cinéma, j’ai grandi avec elle. Elle fait partie de ces actrices qui donnent une direction aux scénarios au moment de l’écriture. C’est une belle actrice au sens absolu du terme. Même lorsqu’elle porte une blouse, elle a ce port de tête et cette souplesse incroyable, qui, en même temps, ne sont pas à côté du personnage puisqu’elle-même est issue de la classe ouvrière. C’était une chance pour moi qu’elle accepte de jouer Edith comme cela a été une chance de pouvoir diriger Catherine Deneuve dans ‘Après lui’ et Béatrice Dalle dans ‘Notre paradis’. Ces trois actrices aux tempéraments incroyablement éloignés ont en commun de faire corps avec le film et d’être complices du metteur en scène. Elles sont dans le don. Ce sont des muses. »
Mouna Fettou et Kamal El Amri, qui interprètent Mina et Ali, ont été choisis très rapidement par Gaël Morel. Pour Mina, le réalisateur voulait une actrice qui s’oppose à Sandrine Bonnaire sur le plan physique mais capable de jouer la même musique. Morel développe : « Mouna Fettou a cela, terrible en colère et presque enfantine quand elle sourit. J’avais rencontré plusieurs jeunes acteurs pour le personnage d’Ali, et j’ai adoré Kamal parce que c’est un bloc de vérité. Son physique et cet accent très léger qu’il a lorsqu’il parle le français en font le genre de garçon qu’on croise tous les jours à Tanger. Je le trouve touchant parce qu’il est en devenir : on voit l’enfant qu’il est, on imagine l’adulte qu’il deviendra : il est dans l’entre-deux. »
A BEAUTIFUL DAY de Lynne Ramsay
Avec Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov et Alessandro Nivola
Ce film est interdit en salles aux moins de 12 ans assorti de l’avertissement suivant : « Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public »
La fille d’un sénateur disparaît. Joe, un vétéran brutal et torturé, se lance à sa recherche. Confronté à un déferlement de vengeance et de corruption, il est entraîné malgré lui dans une spirale de violence...
Prix du scénario et Prix de l’interprétation masculine pour Joaquin Phoenix au Festival de Cannes 2017
« A Beautiful Day » est l'adaptation du roman de Jonathan Ames intitulé « Tu n'as jamais vraiment été là ». Titre que la réalisatrice Lynne Ramsay a conservé (en VO) : « You Were Never Really Here ». Le film a été rebaptisé « A Beautiful Day » en VF, en référence à une phrase prononcée par le personnage de Nina (Ekaterina Samsonov), l'adolescente que Joe alias Joaquin Phoenix doit sauver.
Décrit par le « Times » comme le « Taxi Driver » du 21e siècle, « A Beautiful Day » comporte en effet plusieurs similitudes avec le film culte de Martin Scorsese. Tout d'abord, à l'instar de Travis Bickle, Joe est un vétéran de guerre torturé, devenu un tueur à gages implacable et brutal. Marginal et solitaire, il vit avec sa mère qui ne sait rien de ses agissements. Comme Travis sauve la prostituée Iris, Joe va sauver une adolescente d'un sort funeste, celui de devenir le jouet sexuel d'hommes puissants dans un vaste réseau pédophile impliquant notamment des politiciens. La violence sèche du film rappelle également le long-métrage de Scorsese. À noter que la propension de l'anti-héros à jouer du marteau fait aussi écho à « Old Boy » de Park Chan Wook.
Joaquin Phoenix décrit Joe, le vétéran brutal et torturé qu'il incarne à l'écran : « On ne voulait pas mettre l’accent sur le physique des personnages : on ne voulait pas faire un film hollywoodien. Il est très corpulent dans le film, comme s’il portait une armure, mais aussi une certaine absence. C’était l’idée du personnage. Il a fallu du temps pour comprendre le personnage, cela a beaucoup évolué au cours du tournage. Je ne voulais pas jouer le rôle d’un héros masculin ou mettre en avant une masculinité. C’est un personnage capable, mais à bien d’autres égards incapable. La petite fille se sauve elle-même, mon personnage n’est pas le garçon qui sauve la fille, c’est plus complexe que cela. »
La réalisatrice Lynne Ramsay a indiqué que les conditions de tournage ont eu une influence sur le jeu des comédiens. Joaquin Phoenix ayant eu un changement d'emploi du temps, la britannique a été obligée de tourner le film très vite, et de terminer de l'écrire sous pression. Phoenix confesse : « Lynne écrivait très tard le soir, la veille du tournage. Presque tous les jours nous avions le sentiment qu’il y avait des changements dans le scénario, et tout a évolué au fur et à mesure, c’était un film atypique à cet égard ».
BONUS
EN ATTENDANT LES HIRONDELLES de Karim Moussaoui
Avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou, Mehdi Ramdani et Hania Amar
Aujourd’hui, en Algérie. Passé et présent s’entrechoquent dans les vies d’un riche promoteur immobilier, d’un neurologue ambitieux rattrapé par son passé, et d’une jeune femme tiraillée entre la voie de la raison et ses sentiments. Trois histoires qui nous plongent dans l'âme humaine de la société arabe contemporaine.
Le réalisateur Karim Moussaoui revient sur la genèse du projet : « À l’orée du 21ème siècle, l’Algérie sort d’une décennie sanglante dont les traumatismes sont encore vivaces aujourd’hui. De nouveaux modes de vie et de pensée s’installent et nous vivons, en quelque sorte, sans nous soucier de l’avenir, sans perspectives, dans un état d’amnésie heureuse. Mais ce système atteint vite ses limites. Une certaine détresse qui persistait en nous, figée dans le temps, ressurgit. C’est dans ce contexte que j’ai voulu que les histoires de mon film évoluent. Trois histoires dont l’action se situe au temps présent, et qui vont se déployer sur une seule semaine, en différents lieux du pays. Le scénario est porté par une série de portraits d’hommes et de femmes aux prises avec la vie, le quotidien et l’Histoire récente de l’Algérie. »
Les personnages ordinaires et les événements auxquels ils sont confrontés sont imaginaires mais vraisemblables, inspirés par la propre observation personnelle de Karim Moussaoui. Ce dernier précise : « Il ne s’agit pas ici pour moi de décrire la société, mais d’évoquer les aspects qui m’interpellent ; l’endroit même où le cours du changement est bloqué. J’ai tenté d’examiner tous les possibles auxquels nous sommes confrontés, et comment nous pouvons être créateurs de nos multiples vies. »
Karim Moussaoui a opté pour une trame en trois récits pour qu'il puisse mieux, à travers ces trois histoires, traverser le pays dans toute sa diversité. Le réalisateur développe : « Diversité de milieux sociaux : du couple bourgeois (Mourad) à la famille modeste (Aïcha), de la femme ‘émancipée’ (Rasha et Lila) à la femme ‘traditionnelle’ (Aïcha, pour autant en révolte, en souffrance), l’homme aisé ayant du vécu (Mourad) au jeune idéaliste (Djalil) ou à celui dont l’obsession est de gravir les échelons sociaux (Dahman). Cette multiplicité des personnages, avec, en marge des récits, des digressions qui révèlent ou suggèrent d’autres situations possibles, me permet d’embrasser les questions majeures qui m’interrogent dans mon pays. Les traiter en une seule histoire aurait constitué une singularité, tandis qu’en trio ils dessinent un regard global effaçant ainsi une éventuelle idée d’exception. »
Dans le film, les personnages semblent se confondre avec les paysages, les décors de l’Algérie. Pour suggérer cette idée, le récit a conduit Karim Moussaoui et son équipe du nord vers le sud du pays. Les personnages du film évoluent ainsi dans des paysages toujours en mouvement : la banlieue et le centre-ville d’Alger, les vastes terres semi-arides des Aurès, les routes aménagées à la va-vite en relais à la faveur des récentes constructions autoroutières. « Dans différents décors aussi : un intérieur bourgeois, un appartement modeste, un hôpital, un hôtel ordinaire, une boîte de nuit, une baraque dans un bidonville… Autant de lieux suffisamment divers pour rendre compte de l’Algérie d’aujourd’hui. Je ne cherche ni à enlaidir ni à embellir les lieux ou les personnages, ni surtout à souligner tel ou tel détail qui conforterait, des préjugés ou clichés. J’ai voulu que mon regard, soit une observation dynamique, agissante, parfois poétique, mais jamais définitivement tranchée », raconte le cinéaste.
TOUT NOUS SÉPARE de Thierry Klifa
Avec Catherine Deneuve, Diane Kruger, Nicolas Duvauchelle et Nekfeu
Ce film fait l’objet d’un avertissement CNC : « Certaines scènes sont susceptibles de heurter la sensibilité du public »
Une maison bourgeoise au milieu de nulle part. Une cité à Sète. Une mère et sa fille. Deux amis d’enfance. Une disparition. Un chantage. La confrontation de deux mondes.
La genèse de « Tout nous sépare » est à mettre en parallèle avec l'envie qu'avait Thierry Klifa d’écrire pour Catherine Deneuve, son actrice fétiche qui avait tourné sous sa direction dans deux autres films. « Elle est une source permanente d’inspiration pour moi. Cela fait dix ans que nous travaillons ensemble et notre collaboration ne s’arrête pas uniquement aux longs métrages que nous avons tournés. Nous voyons beaucoup de films ensemble, nous échangeons nos découvertes – beaucoup de séries, des livres. Nous parlons tout le temps. J’ai très confiance en son jugement. En son appréciation. Et en sa bienveillance qui ne s’encombre jamais de complaisance (…) Très vite est née l’idée d’une femme qui prendrait les armes pour sa fille, une guerrière, et défendrait coûte que coûte son territoire » précise le cinéaste.
Avec « Tout nous sépare », Thierry Klifa a voulu faire un film noir ancré dans la réalité actuelle, avec ce qu’elle a de violent et de trivial. Il explique : « On ne peut pas représenter la violence en 2017 comme on la représentait dans les années cinquante. J’avais envie de rendre compte du monde dans lequel on vit aujourd’hui : fracturé, explosif. En forçant mon héroïne à pénétrer le milieu des malfrats pour protéger sa fille, je voyais l’occasion de confronter deux mondes à la fois proches et complètement étanches. »
C'est la noirceur du scénario proche des polars américains qui a poussé Catherine Deneuve à prendre part au projet, mais également son personnage : « une femme à la fois forte et protectrice, soudain piégée par une situation inattendue qui va souder quelque chose qui la dépasse entre elle et sa fille. J’ai toujours été intéressée par les relations entre mères et filles : celles qui lient mon personnage à celui de Diane Kruger sont très différentes de ce que l’on peut attendre de femmes de leurs âges. »
Le réalisateur revient sur son choix des comédiens : « Nicolas (Duvauchelle) a une sensibilité particulière. Je peux tout lui demander, il est toujours partant. On se comprend sans même avoir besoin de se parler. C’est un acteur très physique, à l’aise avec son corps que ce soit pour des scènes de violence ou d’amour. Du coup, ses gestes sont toujours justes, son intensité n’est jamais trafiquée, il ne truque pas. Il vit pleinement les situations tout en étant très attentif à ses partenaires ».
Pour ce qui est de Diane Kruger qui incarne Julia : « Il y a des années que je veux travailler avec Diane, sans doute depuis ’Mon idole’, son premier film où elle était remarquable, et je trouvais qu’il y avait une sorte de filiation entre Catherine et elle – cette blondeur hitchcockienne, l’apparente distance que toutes deux semblent mettre avec l’émotion. Le public connaît mal Diane et a d’elle une image un peu froide. Elle est beaucoup plus fragile et sensible que cela. J’aime sa curiosité, son indépendance, sa modestie, son côté artisan, son investissement absolu. J’ai eu un plaisir fou à la filmer, il y avait vraiment quelque chose qui se passait entre Catherine et elle ». L’actrice ne tarit pas d’éloges également : « C’est un vrai metteur en scène, à la fois extraordinairement précis et ouvert. Il a un immense respect pour les acteurs et, surtout, il a une vraie passion pour ses actrices. Et puis c’est une véritable encyclopédie du cinéma : il a tout vu et j’adore ça. C’est formidable de travailler avec un réalisateur qui a plein de références pour vous guider. C’est un énorme plus. »
Le rappeur Nekfeu fait ici ses premiers pas au cinéma. C'est lorsqu'il l'a vu sur une couverture des Inrocks que Thierry Klifa a penser à le caster pour son film. Ce dernier se souvient : « J’avais entendu sa musique mais je ne le connaissais pas physiquement : j’ai trouvé son visage intéressant et ce qu’il disait aussi. Nous avons pris un café ensemble : il recevait souvent des propositions mais, a priori, le cinéma n’était pas sa priorité. Il a quand même accepté de lire mon projet. Trois jours après, il m’envoyait un long texto : il avait absolument envie d’être Ben. »
Pour se préparer, Nekfeu a travaillé avec Nathalie Donini, une répétitrice qui lui a appris les bases du cinéma (apprendre à respirer, les règles à connaître sur un plateau, etc.) et qui l’a aidé à étudier son personnage. Thierry Klifa confie : « Je lui avais aussi demandé de mincir – je le voulais affûté. Ensuite, nous avons fait des lectures avec les autres acteurs. Le premier jour de tournage – nous tournions la scène où il débarque dans le bureau de Catherine – elle m’a tout de suite dit : ‘Ça va être très bien’. Nekfeu est quelqu’un d’étonnant, d’instinctif. Plus on avançait dans le film, plus il s’est ouvert : chaque jour, je le voyais rajouter des couleurs, de la subtilité, de l’émotion. »
L’apprenti-comédien se souvient de certaines scènes difficiles à tourner : « La scène du baiser avec Diane Kruger m’a tétanisé. J’avais oublié le jour où elle se déroulait. Quand on m’a dit qu’on la tournait, j’ai paniqué. Les scènes de bagarre, très violentes, ont aussi été difficiles. Pour me sentir connecté au réel et ressentir au plus profond les coups que je recevais, j’avais demandé aux autres acteurs de me tabasser pour de vrai. Je me suis pris un nombre incalculable de châtaignes. À la fin de la journée, j’avais le moral plombé. »