Emission du mardi 5 décembre 2017
Le Pitch - Cinéma- Émissions culturelles
- 7 min
- tous publics
Du même programme
- Le Pitch - Cinéma Le Pitch - Cinéma Émission du mardi 26 décembre 2017 diffusé le 27/12 | 8 min
- Le Pitch - Cinéma Le Pitch - Cinéma Emission du mercredi 10 janvier 2018 diffusé le 10/01 | 4 min
- Le Pitch - Cinéma Le Pitch - Cinéma Emission du mardi 23 janvier 2018 diffusé le 23/01 | 7 min
- Le Pitch - Cinéma Le Pitch - Cinéma Emission du mardi 30 janvier 2018 diffusé le 30/01 | 5 min
LES GARDIENNES de Xavier Beauvois
Avec Nathalie Baye, Laura Smet et Iris Bry
1915. A la ferme du Paridier, les femmes ont pris la relève des hommes partis au front. Travaillant sans relâche, leur vie est rythmée entre le dur labeur et le retour des hommes en permission. Hortense, la doyenne, engage une jeune fille de l'assistance publique pour les seconder. Francine croit avoir enfin trouvé une famille...
« Les Gardiennes » est l'adaptation du roman éponyme écrit par Ernest Pérochon et publié en 1924.
Xavier Beauvois revient sur la genèse du projet : « Sylvie Pialat m’avait envoyé le roman d’Ernest Pérochon, il y a environ cinq ans. ‘Les Gardiennes’ est resté très longtemps sur un coin de ma table de nuit. Je ne l’ouvrais pas, mais il était là et mon regard tombait souvent sur lui. Sylvie et moi l’évoquions à chaque fois que nous nous croisions. Je sentais qu’elle entretenait avec ce livre un rapport littéraire mais aussi affectif, qu’il y avait toute une histoire… Puis j’ai fini par le lire et l’ai trouvé très fort. J’aimais, avant tout, qu’il s’agisse d’un livre mettant en scène des femmes. »
C’est la première adaptation de la carrière du réalisateur qui n’a pas hésité à prendre quelques libertés : « Cela a soulevé quelques difficultés. J’aimais le livre de Pérochon mais un certain nombre de choses ne me convenait pas. Je trouvais qu’il y avait trop de malheurs, trop de maladies, trop de morts… J’ai modifié un peu tout ça. Et puis Pérochon met en scène de nombreux enfants. Comment s’en sortir au cinéma quand on prévoit de raconter une histoire se déroulant sur trois ou quatre années ? Impossible, sauf à faire appel à une famille nombreuse pour faire jouer les enfants aux différents âges. C’est la supériorité du roman sur le cinéma. Il y a des choses qu’on peut facilement écrire mais qu’on ne peut pas filmer. En résumé, je peux dire qu’en m’appropriant le roman je n’ai pas hésité à le trahir complètement ! Mais il le fallait : ce n’est qu’en procédant de cette façon que je pouvais lui être fidèle. Et je crois qu’au bout du compte la substance du livre est en effet passée dans le film. »
Nathalie Baye et sa fille Laura Smet sont réunies pour la première fois au cinéma. « Je n'avais pas de rapport mère-fille même si on jouait la mère et la fille, mais un rapport d'actrices qui s'entraident. Ça a duré près de quatre mois. Au milieu de nulle part mais c'était dans la Creuse, là où j'ai grandi. Ça m'a rapproché de ma mère : après le tournage, on s'entendait dix fois mieux qu'avant ! » confie Laura Smet.
Iris Bry (Francine) joue ici son premier rôle au cinéma. Le réalisateur revient sur son choix : « Pour la trouver, nous avons commencé par faire un casting avec des inconnues, des débutantes… Je cherchais quelqu’un pour jouer une paysanne dans les années 1910, je ne voulais pas d’une petite actrice maniérée avec un tatouage sur l’avant-bras… Un jour, la responsable du casting, Karen Hottois, est tombée sur Iris, par le plus grand des hasards, à la sortie d’une librairie. Elle l’a arrêtée et lui a demandé si elle serait d’accord pour passer des essais. Cela s’est joué à quelques secondes : un peu plus tôt, un peu plus tard, la rencontre n’aurait jamais eu lieu, et Iris, ce miracle, n’aurait jamais fait de cinéma ! Elle a 23 ans, elle vient de passer un BEP Librairie. Jusque-là elle n’avait jamais songé une seconde à faire du cinéma. Pour les essais, on lui a demandé d’interpréter la scène où elle dit qu’elle est décidée à garder son enfant, que celui-ci portera son nom, qu’il la protègera… À peine douze secondes que j’étais déjà sidéré. J’ai appelé Sylvie Pialat. Elle a immédiatement été d’accord avec moi. Même si Iris ne se destinait pas à une carrière d’actrice, j’ai bien senti qu’elle voulait très fort ce rôle. »
C’est la première fois que le réalisateur a eu recours au numérique. Il s’explique : « En général je ne suis pas tellement du genre à aimer expérimenter des techniques nouvelles. Je préfère me concentrer sur le film. Cependant, j’ai eu l’impression que les choses étaient désormais assez stabilisées techniquement pour que je puisse m’y mettre à mon tour. Cela m’a permis, pour la première fois, de tourner deux prises à la suite sans aucune interruption. En pellicule il y a toujours un petit truc qui oblige à tout recommencer, le clap, etc. En numérique on peut laisser tourner autant qu’on veut au-delà du temps de la prise, et cela peut donner des résultats très étonnants. La toute fin du film, le sourire que Francine adresse à la caméra, n’est rien d’autre que le sourire qu’Iris, arrivée au terme du tournage, adresse à l’équipe. En pellicule je n’aurais pu faire cela. »
BIENVENUE A SUBURBICON de George Clooney
Avec Matt Damon, Julianne Moore et Oscar Isaac
Ce film fait l’objet d’une interdiction en salles aux moins de 12 ans.
Suburbicon est une paisible petite ville résidentielle aux maisons abordables et aux pelouses impeccablement entretenues, l’endroit parfait pour une vie de famille. Durant l’été 1959, tous les résidents semblent vivre leur rêve américain dans cette parcelle de paradis. Pourtant, sous cette apparente tranquillité, entre les murs de ces pavillons, se cache une réalité tout autre faite de mensonge, de trahison, de duperie et de violence... Bienvenue à Suburbicon.
Après avoir tourné à quatre reprises sous la direction des frères Coen, George Clooney adapte à l'écran un de leurs scénarios qu'il avait reçu en 1999 : « Il s’agissait d’un thriller humoristique aux thèmes proches de ceux de ‘Fargo’ et de ‘Burn after reading’ : des personnages malchanceux qui prennent de très mauvaises décisions. On s’est dit qu’on voulait faire un film un peu moins comique et beaucoup plus incisif. Ça semble être le bon moment pour un film incisif ».
« Bienvenue à Suburbicon » se déroule au cours de la décennie qui suit la Seconde Guerre mondiale, 15 ans après l'instauration du G.I. Bill, une loi américaine fournissant aux soldats mobilisés durant le conflit le financement de leurs études universitaires ou de leurs formations professionnelles. Elle leur facilitait aussi l'accès à un logement grâce à différents types de prêts. « Le 'GI Bill' a permis à beaucoup d’hommes rentrés de la guerre d’acheter une jolie maison avec un garage et un jardin. Tant qu’on était blanc, on pouvait trouver un bon boulot, vivre dans un quartier agréable et fonder une famille. Ce qui est amusant, c’est d’aller explorer l’envers peu reluisant de ce décor idyllique. » explique George Clooney.
Si « Bienvenue à Suburbicon » est une comédie noire, le film s'appuie sur des faits tristement réels lorsqu'il s'agit d'évoquer la ségrégation raciale de l'époque, comme l'explique George Clooney : « Au cours de nos recherches, on a découvert que ces manifestants avaient construit un mur autour de la maison des Meyers, brandissaient des drapeaux confédérés, brûlaient des croix, et avaient rédigé une pétition dans le but de faire expulser la famille. On utilise dans le film le texte exact de cette pétition. »
Le réalisateur a choisi d'intégrer à son oeuvre des images d'archives tirées du documentaire « Crisis in Levittown » afin de montrer la réalité des choses et le racisme décomplexé dans lequel baignait l'Amérique de cette époque : « Les films qui abordent les relations interraciales et le racisme dans les années 50 et 60 se déroulent presque toujours dans le sud. On a l’habitude d’entendre des gens avec l’accent sudiste tenir ce genre de propos, mais pour moi qui viens du Kentucky, il est intéressant de souligner qu’il y a aussi des gens à New York et en Pennsylvanie qui persécutent les minorités. Cette intolérance était aussi manifeste dans le nord-est du pays ; il n’est donc pas étonnant que cela ait pu se produire partout. »
Julianne Moore incarne deux personnages dans le film, celui de Rose, l'épouse de Matt Damon, et sa soeur jumelle, Margaret. Un défi qui n'a pas effrayé l'actrice : « Comme pour n’importe quel rôle, le scénario permet de comprendre ce qui fait leur spécificité : l’usage qu’elles font du langage, la façon dont elles s’expriment. Forcément, elles vont se ressembler physiquement, et il faut donc faire ce qu’on peut pour modifier un peu son apparence, sa physionomie. »
Après avoir incarné le rôle principal de « Inside Llewyn Davis », Oscar Isaac retrouve l'univers des frères Coen dans 'Bienvenue à Suburbicon', co-scénarisé par le duo. L'acteur interprète Bud Cooper, un rôle qui était destiné à l'origine à... George Clooney. Celui-ci raconte : « Oscar est un acteur que j’admire beaucoup depuis quelques années. Il a énormément progressé. Je suis un peu jaloux parce que c’est à moi que les frères Coen voulaient à l’origine confier le rôle de Cooper. C’est un personnage génial qui déclenche toute une série de crimes atroces. Il arrive et il vole la vedette à tout le monde. »
Dans le rôle de Nicky, le fils de Matt Damon, on découvre un jeune acteur britannique âgé de 11 ans. George Clooney ne tarit pas d'éloge à son sujet : « Je n’ai jamais rencontré un enfant comme Noah. Non seulement il est capable de parler avec un accent américain parfait, mais en plus il assurait ses scènes en une ou deux prises. Ce gamin est fait pour le cinéma. »
Pour construire Suburbicon, George Clooney a fait appel au chef décorateur James D. Bissell qui a travaillé sur presque tous ses films. Les deux hommes se connaissent donc bien et Clooney, non content d'être acteur, réalisateur et scénariste, sait aussi dessiner, ce qui s'est révélé bénéfique pour Bissell : « Il a envisagé les moindres détails du film en matière d’esthétique et de dramaturgie, et il arrive à illustrer cela dans ses dessins. Je sais toujours exactement ce qu’il recherche. »
L'équipe du film a posé ses valises non pas à Levittown en Pennsylvanie mais à Fullerton, une banlieue dans le sud de la Californie. Le chef décorateur James D. Bissell raconte : « Bien qu’on ait tourné en Californie, on voulait que les maisons donnent l’impression qu’on pouvait se trouver absolument n’importe où aux États-Unis. Notre préoccupation principale pendant nos recherches était de trouver des maisons en aussi bon état que possible, sans trop d’arbres autour. Dans un quartier de Fullerton, l’équipe a découvert le décor parfait pour l’extérieur de la maison des Meyers, ainsi qu’une douzaine d’autres propriétés de la bonne époque qui apparaissent dans un travelling au début du film. Les maisons de Fullerton ont été construites en 1958, ce qui était parfait pour nous. La municipalité est très fière de son architecture et les maisons ont été très peu rénovées. C’était l’endroit parfait parce que même la couleur des maisons n’a pas changé. »
BONUS
SEULE LA TERRE de Francis Lee
Avec Josh O'Connor et Alec Secareanu
Johnny travaille du matin au soir dans la ferme de ses parents, perdue dans le brouillard du Yorkshire. Il essaie d’oublier la frustration de son quotidien en se saoulant toutes les nuits au pub du village et en s’adonnant à des aventures sexuelles sans lendemain. Quand un saisonnier vient travailler pour quelques semaines dans la ferme familiale, Johnny est traversé par des émotions qu’il n’avait jamais ressenties. Une relation intense naît entre les deux hommes, qui pourrait changer la vie de Johnny à jamais.
Chistera du meilleur réalisateur et Chistera de la meilleure interprétation masculine pour Josh O'Connor au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2017.
Hitchcock d'Or au Festival du Film Britannique de Dinard 2017.
Prix de la mise en scène - Films de fiction (World Cinema) au Sundance Film Festival 2017.
Francis Lee a choisi de tourner « Seule la Terre » au Yorkshire parce qu'il a grandi dans les collines isolées des Pennines, dans le West Yorkshire. Le metteur en scène a longtemps été fasciné par ce paysage désolé et par les gens qui s’y raccrochent coûte que coûte, gagnant leur vie en exploitant quelques hectares d’une terre peu hospitalière. Il précise : « Quand j’étais petit, je ne réalisais pas le pouvoir d’attraction exceptionnel de cette terre sur ceux qui y vivent et y travaillent. J’en ai pris conscience lorsque je suis allé étudier à Londres, laissant derrière moi les paysages ruraux et isolés du Yorkshire de mon enfance : je me suis demandé pour la première fois ce que le reste du monde avait à m’offrir. Le point de départ de ‘Seule la Terre’ est donc un questionnement personnel : que ce serait-il passé si j’étais resté au sein de ma communauté, si j’avais exploité cette terre à mon tour et si j’y avais rencontré quelqu’un ? »
Via son film, Francis Lee a voulu raconter une histoire d’amour sincère et sans complaisance, et saisir le sentiment de joie mêlée d’appréhension qui accompagne la naissance d’une relation. Le réalisateur voulait que l'on voit les personnages de Johnny et Gheorghe tomber peu à peu amoureux l’un de l’autre et se demander comment concilier leurs différences. Il explique : « Je souhaitais explorer les moments que deux personnes partagent quand elles commencent à s’engager, en mettant le doigt sur les conflits qui animent les personnages. Que l’on soit homo ou hétéro, on sait tous ce que ça fait de tomber amoureux, et combien cette étape peut être difficile parfois, surtout quand les circonstances ne s’y prêtent pas. Construire une grande histoire d’amour était un défi en soi. Pour tenter d’y parvenir, j’ai tourné le film de façon linéaire et chronologique, laissant chaque scène influer sur la suivante du point de vue des sentiments, comme si je construisais l’histoire pierre après pierre. »
Le tournage du film n'a pas été évident dans la mesure où il s'est déroulé dans une nature hostile, avec une météo imprévisible (la neige puis la pluie pouvaient laisser place à un soleil éclatant en une seule et même journée), des animaux et une charge émotionnelle forte. Francis Lee raconte : « Mais j’ai une profonde connaissance des lieux et je suis obsédé par la précision… Mon souci d’authenticité a donc été le même avec mon équipe technique. Tout ce qui apparaissait à l’écran devait avoir sa place dans la ferme et l’environnement du film. En fait, nombre d’accessoires venaient de la ferme de mon père, à dix minutes du lieu de tournage. Quant aux costumes, ils devaient provenir de magasins qu’auraient pu fréquenter les personnages. Notre chef costumière, Sian Jenkins, s’est donc procuré les tenues des acteurs principaux au centre-ville de Keighley. »
Avec « Seule la terre » qui est son premier long métrage, Francis Lee voulait que la caméra soit toujours installée entre les personnages, pour qu’ils ne puissent jamais se soustraire au regard du spectateur. Les mouvements de caméra devaient refléter non seulement les paysages, mais aussi l’état émotionnel des protagonistes. En ce sens, le réalisateur a cherché, en compagnie du directeur de la photographie Joshua James Richards, à « dépeindre le bouleversement que Gheorghe introduit dans cet univers, sa façon de modifier son environnement, d’apporter sa propre ‘lumière’ dans ce monde sombre et insensible », d'après lui. Il poursuit : « Pour le son, je savais dès le départ qu’il serait essentiel au film. J’ai travaillé l’image et le son en même temps au montage. J’ai construit un ‘paysage sonore’ fait de sons naturels : le bruit du vent a été soigneusement orchestré, nous avons placé stratégiquement certains chants d’oiseaux, sélectionné les bruits des moutons un par un, et le son du feu de camp a été mûrement réfléchi lui aussi. Tout a été fait pour que le son soit un élément à part entière de l’univers sombre et brutal du film. L’idée était de composer une atmosphère avec une certaine texture, en utilisant le bruit du vent presque comme un choeur, qui tranche avec l’histoire profonde et émouvante qui se déroule dans ces lieux inhospitaliers. »
UN HOMME INTÈGRE de Mohammad Rasoulof
Avec Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee et Nasim Adabi
Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce.
Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?
Prix un Certain Regard au Festival de Cannes 2017.
« Un homme intègre » est interdit en Iran mais le réalisateur et producteur Mohammad Rasoulof ne baisse pas les bras et espère obtenir les autorisations nécessaires pour projeter son film dans son pays natal. Ce n'est malheureusement pas la première fois que le cinéaste est confronté à la censure : « À ce jour, j’ai produit six films dont aucun n’a été projeté en Iran, le pays auquel mes histoires et moi appartenons. Le système de censure a conduit à la fermeture de toutes les salles de cinémas. Les réalisateurs indépendants, c’est-à-dire sans financement de l’État pour leur production, sont perpétuellement en train de chercher un moyen de contourner la censure. »
Rasoulof reconnaît que si la censure stimule parfois la créativité des artistes, ces derniers atteignent parfois un niveau de saturation qui les mène au désespoir. Ainsi, certains tournent leur film à l'intérieur d'un appartement ou choisissent un lieu de tournage reculé et isolé. Ces conditions se répercutent sur la mise en scène : l'équipe est parfois contrainte d'utiliser des petites caméras non professionnelles, de renoncer à un chef opérateur ou de simplifier à l'extrême le scénario.
Pour son film, le cinéaste a souhaité évoquer le sujet de la corruption et il s'est appuyé sur les propos du sociologue américain C. Wright Mills : « La peur du pouvoir entraîne une identification à ce même pouvoir (qui viole les droits du peuple). » Dans son film, le cinéaste suit un homme et une femme qui « par nécessité, se retirent dans une zone éloignée, vivent de la pisciculture, et finissent par s’identifier à ce même environnement corrompu qu’ils avaient choisi de fuir. Les structures sociales corrompues, au pire, écrasent l’individu, au mieux, font de lui un des maillons de la chaîne de la corruption. Un autre choix est-il possible ? »
Mohammad Rasoulof a eu du mal à trouver son acteur principal. Il s'agissait en effet d'incarner un homme non musulman et dont la religion n'est pas établie. De plus, le film risquait de subir les foudres de la censure iranienne : « Aucun de mes amis proches n’a voulu le jouer. À la dernière minute, mon assistant a rencontré un acteur très respecté qui a accepté et a débarqué sur le tournage dès le lendemain, prêt à tourner. Juste avant la première prise, nous nous sommes assis tous les deux dans la voiture pour parler du film. Il avait tout compris. Le personnage, les pièges du rôle. Il connaissait des gens qui avaient vécu ce genre de situations. Il avait accepté le rôle pour pouvoir prendre position face à cette injustice. Il a incarné ce personnage avec beaucoup de sérénité, et sans avoir peur. »
A l'instar de son confrère Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof a été arrêté en 2009 et condamné à une peine de prison de six ans, réduite à un an en appel. Mais celle-ci n'a toujours pas été exécutée, sans doute en raison de la mobilisation internationale qui a suivi l'annonce de cette peine. Une situation qui angoisse le cinéaste : « J’ai été libéré sous caution, mais je ne me sens pas libre. Je bénéficie d’un fantôme de liberté. Je vis avec la peur, je suis constamment aux aguets. Chaque fois que je veux quitter le pays, je crains qu’on ne m’en empêche et j’ai peur dès que je reviens. Mais c’est ma vie, et je dois profiter de chaque petite ouverture, chaque interstice pour échapper à la censure et être créatif. Je ne sais pas combien de temps je parviendrai à faire des films. »