Emission du mercredi 10 janvier 2018
Le Pitch - Cinéma- Émissions culturelles
- 4 min
- tous publics
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SI TU VOYAIS SON CŒUR de Joan Chemla
Avec Gael García Bernal, Marine Vacth, Karim Leklou et Nahuel Perez Biscayart
Suite à la mort accidentelle de son meilleur ami, Daniel échoue à l’hôtel Métropole, un refuge pour les exclus et les âmes perdues. Rongé par la culpabilité, il sombre peu à peu dans la violence qui l'entoure. Sa rencontre avec Francine va éclairer son existence.
Premier long métrage pour la réalisatrice Joan Chemla.
« Si tu voyais son cœur » est l'adaptation très libre du roman « Mon ange » de l’écrivain cubain Guillermo Rosales. La réalisatrice Joan Chemla a surtout voulu garder la substance du livre et les sensations qu'elle a eues au moment de sa lecture comme elle l’explique : « Les premières phrases du roman donnent immédiatement le ton : ‘On pouvait lire boarding home sur la façade de la maison, mais je savais que ce serait mon tombeau. C’était un de ces refuges marginaux où aboutissent les gens que la vie a condamnés. Des fous pour la plupart. Mais aussi des vieillards que leurs familles abandonnent pour qu’ils meurent de solitude et n’empoisonnent plus la vie des triomphateurs.’ Je me suis tout de suite sentie imprégnée par cette atmosphère tour à tour tragique, absurde, romantique, lyrique et teintée d’humour noir. »
Si le roman se déroule aux Etats-Unis et suit un exilé cubain, Joan Chemla a choisi d'ancrer le film dans un hôtel social en France et de faire de son héros un exilé de la communauté gitane. Elle raconte : « Aux États-Unis, les Latinos sont des boucs émissaires, on leur tire dessus à la carabine à la frontière. Quand je me suis demandée quel serait l’équivalent en France de cette communauté, j’ai pensé aux Tsiganes, puis aux Gitans. Je suis moi-même fille et petite-fille d’émigrée, une partie de ma famille a été déportée pendant la Seconde Guerre mondiale. Le choix de cette communauté et le sujet de l’exil me parlaient personnellement ».
Le film raconte aussi les magouilles des mafieux gitans, notamment la manière dont ils vident une maison de ses biens. Pour se renseigner sur cette pratique, Joan Chemla a parlé avec des gitans et des policiers, mais a également rencontré le journaliste d’investigation Jérôme Pierrat, qui est devenu consultant sur le scénario. « Je l’ai suivi à Marseille, au cœur d’enquêtes qui parfois n’avaient rien à voir avec mon film mais qui m’ont nourrie. Jérôme est passionné et passionnant, il a des milliards d’anecdotes à raconter. Il est spécialisé dans toutes les mafias, des yakusas aux trafiquants de drogue. Il m’a fait rencontrer des gens plus qu’à la marge, des figures du grand banditisme... », se souvient-elle.
L’histoire que raconte le film est sombre, mais la réalisatrice n’a pas souhaité aller vers le misérabilisme : « Quand on filme la marge, quand on aborde un sujet politique ou social, on a tendance à tourner caméra à l’épaule, à accentuer la noirceur, le glauque… Je ne me reconnais pas dans cette façon de faire, je la trouve trop ton sur ton. Je voulais au contraire une mise en scène ample, aller dans le très noir pour ensuite accéder, par contraste, au très lumineux. Je crois d’abord à la force du lyrisme, au décalage de l’humour grinçant, à l’émotion du romantisme noir. J’avais envie de proposer un cinéma engagé, mais sensoriel. Que l’on ressente avant de comprendre. »
La réalisatrice revient sur le casting : « « Je voulais que le film arrache les spectateurs à leur univers quotidien pour les emmener dans un monde cru, menaçant, et inconnu d’eux. Je me suis dit que le voyage serait plus facile s’ils avaient, pour les guider… Gael García Bernal. Un visage solaire, doux, presque enfantin. C’est son ADN ! Quoi qu’il fasse ! Il était donc le contrepoint parfait à la noirceur du film. J’ai donc écrit ce scénario pendant deux ans avec Gael en tête et avec le risque qu’il dise non au final. Je ne le connaissais pas, c’était mon premier film, et un film en France… Mon producteur me disait d’ailleurs que je devais penser à d’autres acteurs, au cas où. Mais tant que je n’avais pas un refus de la part de Gael, c’était impossible ! Nous lui avons envoyé le scénario dès qu’il a été terminé, il a beaucoup aimé et je suis allée le rencontrer en Argentine. J’étais très intimidée, l’enjeu était énorme, il fallait que je revienne avec un oui de sa part ! »
Marine Vacht avait déjà tourné dans l’un des court-métrages de la réalisatrice : « Marine est une femme évidemment magnifique mais ce qui m’intéressait, c’était de me servir le moins possible de sa beauté. Marine a quelque chose de très sombre et fragile en elle. Je voulais filmer cette intensité-là, cette profondeur d’âme. »
Karim Leklou campe le réceptionniste de l’hôtel et la réalisatrice ne tarit pas d’éloges sur l’acteur : « Pour le rôle de Michel, particulièrement, j’ai rencontré énormément d’acteurs, mais quand j’ai vu Karim, c’était l’évidence. Je ne fonctionne jamais au coup de coeur mais là, si ! Karim est un grand acteur, très doué. Avec sa carrure de gros bébé, il incarnait à la perfection ce personnage extrêmement antipathique, violent, auquel on n’adhère pas mais dont on perçoit néanmoins l’hyper sensibilité et la fragilité. »
Depuis le succès de « 120 battements par minute » l’argentin Nahuel Pérez Biscayart commence à être très connu : « Gael et lui n’avaient jamais tourné ensemble mais ils se connaissaient de réputation. Nahuel est extrêmement doué pour les langues. Il a appris le français il y a quelques années pour jouer dans ‘Au fond des bois’ de Benoît Jacquot. En revanche, tous les autres acteurs gitans sont des non professionnels. »
La réalisatrice explique le choix du titre de son film : « Cette phrase concerne tous les personnages, car j’ai de l’empathie pour chacun d’eux. Je les comprends tous malgré leur dysfonctionnement ou leur forme de folie. »
DOWNSIZING de Alexander Payne
Avec Matt Damon, Kristen Wiig, Christoph Waltz et Hong Chau
Pour lutter contre la surpopulation, des scientifiques mettent au point un processus permettant de réduire les humains à une taille d’environ 12 cm : le ‘downsizing’. Chacun réalise que réduire sa taille est surtout une bonne occasion d’augmenter de façon considérable son niveau de vie.
Cette promesse d’un avenir meilleur décide Paul Safranek (Matt Damon) et sa femme (Kristen Wiig) à abandonner le stress de leur quotidien à Omaha (Nebraska), pour se lancer dans une aventure qui changera leur vie pour toujours.
Ce sont Jim Taylor et son frère le producteur Douglas Taylor qui ont eu l’idée du postulat de départ. « Doug a imaginé un dispositif permettant de rétrécir les gens et a ensuite fait de savants calculs pour savoir combien de personnes de taille réduite on pouvait nourrir avec un hamburger », raconte Jim. En jouant avec l’idée que des opportunités inouïes peuvent se présenter à des êtres humains ainsi rétrécis, ils n’ont pas tardé à disposer d’un « point de départ intéressant pour un film ».
Le réalisateur Alexander Payne a cherché à donner plus d’envergure à ce postulat. « On s’est dit que le downsizing deviendrait une tendance mondiale, si bien qu’avec Jim, on a eu envie d’étendre le dispositif à tous les pays, et pas de se cantonner aux États-Unis. Tout le reste a découlé de ce point de départ », dit-il. En élargissant le contexte, les auteurs mettaient en valeur la dimension universelle des thèmes abordés par le film. « Dans le film, on entend parler l’anglais, le vietnamien, le serbo-croate, l’espagnol, le norvégien, le grec, le coréen, la tagalog, l’arabe, le français et, pendant quelques instants, le langage des signes américain. On n’avait pas, au départ, l’intention de brasser plusieurs langues, mais cela enrichit l’intrigue et appuie l’idée que le monde de Paul s’élargit dès l’instant où il choisit de rétrécir » explique le réalisateur.
Payne revient sur les rôles du film et le casting. Payne et Damon ne se connaissaient pas avant de collaborer le film. C’est Steven Soderbergh, un ami commun, qui leur a conseillé de travailler ensemble. « Soderbergh m’a toujours dit que Matt était un grand pro, qu’il était intelligent et courageux et qu’il maitrisait très bien les rouages de la mise en scène. Quand je me retrouvais dans une impasse, je pouvais lui en parler très librement et il avait souvent une solution à proposer », remarque le cinéaste.
Damon précise : « Je ne connaissais pas Alexander si bien que lorsqu’il m’a raconté le principe du film, je ne savais pas s’il était sérieux ou pas. Je me suis demandé s’il n’était pas en train de me piéger ! ». Pourtant, il a accepté le rôle avant même de lire le scénario. « Très franchement, je pourrais réciter l’annuaire téléphonique pour Alexander Payne. Je n’ai jamais vu un seul acteur mal jouer dans l’un de ses films, et maintenant que j’ai tourné sous sa direction, je me rends compte que ce n’est pas un hasard. Il est très précis et a une telle vision de son film que s’il se dit que la prise est bonne, je sais qu’il a raison ».
Concernant Kristen Wiig qui joue Audrey Safranek, l’épouse de Matt Damon « J’adore engager des acteurs comiques pour camper des personnages assez sérieux. « J’étais sûr que Kristen était capable de jouer n’importe quel rôle. Elle a un tempo un peu plus soutenu qu’un comédien qui n’a pas son habitude de la comédie » dit le réalisateur.
Christoph Waltz incarne Dusan Mirkovic « Dusan gagne sa vie en faisant du trafic de produits de luxe en provenance du monde extérieur qu’il importe à Leisureland. Grâce à ses contacts de sa vie d’avant, il se débrouille dans les deux mondes » explique le réalisateur.
Waltz raconte qu’il n’a pas accepté de jouer Dusan « uniquement pour le metteur en scène, ou uniquement pour l’intrigue, ou uniquement pour l’importance du rôle. Il fallait que les trois paramètres se conjuguent harmonieusement. Dans le cas de ce projet, si j’ai accepté, c’est parce qu’Alexander Payne – qui aurait pu me suffire à me convaincre – était aux commandes, parce que l’intrigue m’a plu et que le rôle était formidable ».
Waltz ajoute que le film comporte un message – « sinon, ce serait totalement vain », dit-il. « Certains films assument leur statut de ‘pur divertissement’, et sont dépourvus du moindre sous-texte. Dans un film, il y a toujours des références cachées au-delà des apparences. C’est en tout cas l’intention des vrais cinéastes ».
Dans le film, deux mondes qui se font face exploitent leurs occupants de manières diverses. La création de ces univers a mobilisé un mélange d’effets visuels et de décors inédit pour Payne. « Le cinéma commercial a imposé une esthétique épouvantable. Il répond au diktat selon lequel l’univers d’un film est censé être plus beau que l’environnement du monde réel, et ça me rend dingue. Pour moi, le cinéma doit ressembler au monde où nous vivons et où nous avons nos repères. Je ne dis pas qu’il faut le filmer de manière banale, mais ce qui m’intéresse, c’est la banalité filmée avec brio » précise le réalisateur. Le superviseur effets visuels James Price a joué un rôle déterminant dans la fabrication du film puisqu’il a eu la délicate mission d’insuffler du réalisme dans les images, en dépit de la dimension de science-fiction du film. « ‘Downsizing’ s’inspire de la réalité, si bien qu’il était fondamental que les effets visuels soient crédibles. On a utilisé de vraies photos et d’authentiques techniques de photographie quand c’était possible afin que les images soient ancrées dans la réalité, même si onles transformait ensuite en infographie. »
Ce parti-pris est visible dès le début du film « On a d’abord tourné tous nos arrière-plans en plateau, puis les éléments de décors et les accessoires des personnages rétrécis sur un fond vert », explique Price. « En intégrant les images tournées sur fond vert à celles filmées en plateau, on a le sentiment que les personnages rétrécis sont dans un plan à échelle normale. Outre les techniques traditionnelles, nous avons eu recours au numérique, et notamment à des imprimantes 3D pour confectionner des poupées de 12 cm, qui nous ont servi de doublures, et à un logiciel nous permettant de mesurer précisément les angles de prises de vue adaptées à ces poupées et aux acteurs de taille normale présents dans le plan. C’est ainsi qu’on est à même de connaître leur champ de vision et que les acteurs filmés sur fond vert peuvent s’y intégrer parfaitement par la suite ». La démarche était, encore une fois, très simple : « Il s’agissait de faire en sorte que les effets visuels et l’intrigue soient ancrés dans la réalité ».
BONUS
BELINDA de Marie Dumora
Belinda a 9 ans. Elle aime la neige, la glace pour glisser, plus encore sa sœur avec qui elle vit en foyer. On les sépare.
Belinda a 15 ans. Pas du genre à vouloir travailler dans un magasin de chaussures, en mécanique à la rigueur.
Belinda a 23 ans, elle aime de toutes ses forces Thierry, ses yeux bleus, son accent des Vosges. Elle veut se marier pour n’en être jamais séparée. Coûte que coûte.
En 2000, Marie Dumora rencontre dans un petit bureau de l’administration de l’Est où des personnes abandonnées à la naissance viennent chercher des informations sur leur histoire, une jeune fille, adoptée très tard, qui lui parlait de la nostalgie de son foyer d’enfants et de ses amis qu’elle regrettait. Intriguée, la réalisatrice est allée dans ce foyer et y a rencontré Belinda, 9 ans, inséparable de sa soeur Sabrina, 10 ans, dont on allait la séparer. Elle se souvient : « Belinda était une enfant solaire, joyeuse, elle avait ce petit côté Paulette Goddard, avec cette grâce des personnages de Chaplin si fortement ancrés dans le présent. J’ai donc tourné avec les deux sœurs ‘Avec ou sans toi’ qui constitue le premier volet de la trilogie des enfants, puis ‘Emmenez-moi’ en 2004, le deuxième volet (…). J’ai ensuite tourné en 2007 ‘Je voudrais aimer personne’, où je retrouvais cette fois Sabrina, la grande soeur de Belinda. Quinze ans, bottes blanches, Sabrina élevait Nicolas, son enfant, dans un foyer pour jeunes mères et arpentait la ville, tentant de garder son cap alors que tout vacillait autour d’elle. Elle décidait de faire baptiser son fils. Le film était construit autour de cet enjeu du baptême qui permettait d’éclairer beaucoup d’autres choses. ».
C’est quelques années plus tard qu’elle retrouvera Belinda. « Dès que j’ai revu Belinda, j’ai eu immédiatement envie de refaire un film avec elle (…). Cependant, la situation était difficile. Son ami était en prison, elle ne savait plus par quel bout prendre la vie. Je ne voulais pas non plus réduire son histoire à son ancrage sociologique, à un cas. Les bureaux de Pôle Emploi et les parloirs ne m’inspiraient guère, ils me semblaient peu romanesques et me faisaient craindre de plus une distance contre-productive avec les personnages, une stigmatisation. Il n’était en aucun cas question de ne susciter que de la pitié qui l’aurait tenue loin de nous. Je voulais la filmer dans son espace de liberté, son libre arbitre, ce que l’humanité partage avec plus ou moins de bonheur. Je lui ai proposé de construire le film autour de son histoire d’amour, d’essayer de faire ‘un vrai film’, un film libre mais un film d’amour et que dans ce film on la retrouve aussi enfant, adolescente. J’ai donc pris le parti au montage d’ellipses radicales pour construire le récit et affirmer le traitement du temps. Je ne pensais pas que je respecterai la chronologie de l’enfance, de l’adolescence (comme une sorte de ‘Boyhood’, le film de Richard Linklater, mais version Yéniche alsacien et ‘pour de vrai’). Très vite celle-ci s’est imposée. Il me semblait brutal ou artificiel, de lui infliger au montage mes propres associations d’idées, lui plaquer des souvenirs d’enfance. Cependant, les séquences de l’enfance contribuent à nourrir et éclairer son histoire et, je l’espère, à faciliter l’identification à cette jeune femme, un peu loin de nos sphères. C’est tout l’intérêt du cinéma : révéler des personnes comme le ferait un bain chimique en photographie, dans quelque chose de leur vérité, de leur grâce. En éclairant cette marge, en y décelant des échos avec nos propres mondes j’espère parvenir à échafauder des passerelles entre des univers d’apparence si distincts et mus, au fond, par des préoccupations communes : l’amour, la question du lien, la fidélité, la perte, ce qui par-delà tout cela nous pousse à vivre : une rage de vivre en quelques sortes. »
Dans ses tournages, Marie Dumora a pour habitude de partir à l’aventure en filmant à l’épaule avec une caméra assez volumineuse et un ingénieur du son très visible avec sa perche et ses micros. La cinéaste raconte : « Je ne veux surtout pas me servir d’une petite caméra de poing maniable comme un sèche-cheveux, l’air de ne pas y toucher, pour mettre les gens en confiance. Au contraire, je préfère assumer le côté équipe de cinéma, équipe pour le moins modeste puisque nous sommes deux, mais équipe tout de même puisqu’il s’agit de fabriquer un film, il ne s’agit surtout pas de ‘suivre’ quelqu’un, le prendre en filature. Dans le même ordre d’idée, je filme toujours avec le même objectif, la même focale (au plus proche de ce que restitue la vision de l’oeil humain), je me rapproche dangereusement pour les gros plans ou m’éloigne pour les plans larges. De même, le choix de cette focale contribue à me placer à une distance juste pour moi. Il est vrai que le cinéma est pour beaucoup une question de place et de distance.»
VERS LA LUMIÈRE de Naomi Kawase
Avec Masatoshi Nagase, Ayame Misaki et Tatsuya Fuji
Misako passe son temps à décrire les objets, les sentiments et le monde qui l’entoure. Son métier d’audiodescripteur de films, c’est toute sa vie. Lors d’une projection, elle rencontre Masaya, un photographe au caractère affirmé dont la vue se détériore irrémédiablement. Naissent alors des sentiments forts entre un homme qui perd la lumière et une femme qui la poursuit.
« Vers la lumière » est né des séances d'audio-description réalisées pour « Les Délices de Tokyo », le film précédent de Naomi Kawase. La cinéaste japonaise a eu la sensation de redécouvrir son oeuvre durant ce processus où elle a pris connaissance du travail des audio-descripteurs : « J’étais fascinée et ma présence à leurs côtés leur a permis de me questionner directement sur le vocabulaire et les intentions de mise en scène. C’est un équilibre délicat à trouver, qui demande que l’analyse des intentions soit précise sans jamais être intrusive dans le ressenti du spectateur. En les entendant échanger, j’ai pris conscience qu’ils cherchaient à transmettre le film de manière profonde. Je me suis rendue compte que leur histoire était celle de la transmission de leur passion pour le cinéma. C’est ainsi que s’est construit le personnage de Misako. »
Dans le film et à travers les personnages, c’est de regard et de cinéma dont il question. « Deux façons de percevoir le monde : ‘selon Nakamori’ ou ‘selon Misako’, et l’usage du gros plan me permet de mettre en forme cette idée. L’un perd la lumière, l’autre la décrit et tout deux parlent d’un rapport au monde, au cinéma et à la mémoire. Nakamori, le personnage du photographe, est atteint d’une maladie dégénérative, il perd progressivement la vue et doit renoncer à sa carrière de photographe. Un nouveau rapport au monde et aux autres se construit. Il doit désormais apprivoiser et développer d’autres sens pour compenser la perte. Quel est le sens de sa vie désormais ? Y a t-il des choses qui échappent à notre compréhension même si nous pouvons les voir ? Et inversement, pouvons-nous comprendre ce que nous ne voyons pas ? Misako, elle, décrit le visible, des images mouvements, soumet ses propositions à des non-voyants, tente d’aiguiser ses descriptions du réel. Elle chemine des images aux mots sans perdre la sensation et l’émotion. » explique la réalisatrice.
Naomi Kawase aborde régulièrement dans ses films une notion qu'elle appelle « l’existence de l’invisible ». Dans « Vers la lumière », l’invisible est traité de manière concrète grâce à l’audio-description et sa philosophie : « La perception et l’acuité visuelle, l’instant de la sensation, comprendre, décrire, retranscrire quelque chose qui affleure, tout cela est perceptible et devient matière d’échange lors des séances d’audio-description. Et, grâce au personnage du photographe, on aborde également la distance entre le photographe et son sujet, la relation de confiance qui s’établit entre eux et l’abandon. »