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« On m’a dit : "Arrêtez de pleurer madame, il y a 30 ans, on n’avait pas de téléphone" » : accoucher pendant le Covid-19, les témoignages

Des femmes ayant accouché pendant la crise sanitaire racontent à LMDM leur histoire.

La crise sanitaire que le monde traverse aura eu de nombreuses conséquences. Parmi elles, un énorme chamboulement pour beaucoup de couples attendant un enfant à naître. Accouchements solitaires, projets de naissance abandonnés, accompagnement compliqué ou impossible : les témoignages de femmes ayant accouché dans des conditions difficiles pendant la crise du Covid-19 ont afflué à la rédaction de LMDM.

L’absence du conjoint

Le 21 mars, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) l'a pourtant rappelé : les femmes ont le droit d'accoucher en toute sécurité et sérénité, notamment en pouvant être accompagnées par la personne de leur choix. Pour autant, toutes les maternités n’ont pas permis au futur père ou co-parent d’être présent durant l’accouchement. Pour Elena, maman de Liam, né le 14 avril, cette absence a été très difficile à vivre :

« Je suis arrivée aux urgences de la maternité la veille de mon accouchement à 23h45. Le papa a dû me dire au revoir devant la porte des urgences et déposer les affaires. La sage-femme faisait office de bagagiste. Jusqu'à 17h20, j'étais seule en plein travail. »

Si finalement son conjoint la rejoint en salle de naissance après près de 18h passée seule, ces retrouvailles sont de courte durée :

« J'ai insisté pour que bébé soit le plus possible auprès de son papa. 1h de peau a peau. Puis l'heure finie, il a dû partir. J'étais fatiguée et épuisée. J'ai des souvenirs flous. J'avais besoin de lui. Besoin qu'il soit là auprès de moi et de son fils, qu'il s'occupe de lui. Qu'il puisse apprendre auprès des professionnels. Qu'on soit tous les 3. »

Aurélie, maman de Juliette, née de 13 avril, a également accouchée sans son conjoint, entourée par la bienveillance de l'équipe soignante :

« J'ai réussi à accoucher comme je le souhaitais d'une petite Juliette en pleine forme, même si deux heures avant la fin j'étais en pleurs, en manque de mon mari, de soutien... Heureusement le personnel soignant a été fantastique, même si je n'en doutais pas une seconde. Ils ont filmé la sortie de Juliette que j'ai pu partager avec le papa ! Maigre consolation mais souvenir indispensable et "réel" grâce à eux pour le papa. »

Le séjour à la maternité dans la solitude

Même si les équipes soignantes font de leur mieux pour être auprès des jeunes mamans, elles ne remplacent pas la présence du père ou coparent. Lorraine, maman d'un petit Paco né le 15 mars, témoigne :

« Après la naissance de Paco, mon conjoint est parti s’occuper de notre grand. La sage-femme est venue m’annoncer que s'il revenait, il devait rester confiné avec moi dans la chambre jusqu’à ma sortie, sinon il ne pouvait pas revenir. Il n’est donc pas revenu et cela m’a beaucoup affectée. Je n’étais pas préparée à cela du tout. Personne n’avait évoqué cette possibilité, on était à la veille du confinement et je n’avais même pas pensé que cela pouvait être une option. J’ai pleuré toute la journée je crois, et m’en suis beaucoup voulue car moi qui souhaitais accompagner au mieux mon nouveau-né, je me retrouvais triste et déprimée. Entre culpabilité et impuissance, j’ai passé les 5 jours suivants dans ma chambre. On sentait la tension du personnel soignant qui faisait de son mieux pour ne pas nous transmettre leurs inquiétudes​​​​.​​​ » 

Elena, maman de Liam, regrette de ne pas avoir reçu le soutien qu'elle attendait :

« Tous les jours on s'appelait par téléphone ou webcam avec le papa. C'était mieux que rien. Mais le manque était présent. Des sages-femmes m'ont dit : "Arrêtez de pleurer Madame, il y a 30 ans, on n'avait pas de téléphone"... J'avais l'impression que je n'avais pas le droit de me plaindre, pas le droit de craquer. Je n'ai pas eu le soutien que j'attendais. »

Un retour à la maison perturbé

À la sortie de la maternité, un grand nombre de femmes témoignent du soulagement de retrouver leur conjoint.e. Mais passée la joie des retrouvailles, le retour à la maison avec bébé peut être compliqué. Maman choquée par l'accouchement et la solitude des premiers jours passés seule à la maternité avec bébé, papa déboussolé : les situations de tension et de détresse ne sont pas rares. Sandrine, maman de Rafael né le 27 mars,  explique : 

« Lorsque je suis enfin rentrée, j’ai pleuré pendant 1 semaine, et je devais montrer à papa comment s’occuper de bébé... pas facile pour un premier ! »

Privés de leurs familles, amis, mais aussi des rendez-vous habituels qui suivent la naissance de bébé et permettent d'aborder leurs questionnements, les jeunes parents souffrent de l'isolement qu'impose le confinement. Alicia a accouché en Belgique le 6 avril et ressent « un total abandon, avec l'annulation de tous les rendez-vous médicaux ». Marine, quant à elle, regrette de ne pas avoir pu présenter sa fille Ambrym, née le 19 mars, à ses proches :

« J’avais idéalisé ce post-partum entourée de tous mes proches, épaulée dans les moments de creux. Le téléphone et les webcams ne remplacent pas la présence physique et le contact humain. »

Même son de cloche pour Aurélie, maman de Juliette :

« Nous avons toujours eu l'habitude d'avoir du monde à la maison, amis ou famille... Passer de tout à rien n'a pas été simple pour nous. Et ne pas pouvoir présenter notre Juliette à nos proches... Ça a été le pire. Cette crise sanitaire nous aura coupés de la proximité et réassurance de nos proches, et aura des conséquences que nous ne pourrons jamais mesurer sur nos filles. »

L'isolement, un facteur aggravant dans la dépression du post-partum

Un grand nombre de femmes relatent un état dépressif ou anxieux, avec des difficultés à s'alimenter, dormir ou s'occuper de leur bébé : « Au retour à la maison, je ne m'alimentais plus, je ne voulais plus m'occuper de mon fils car je pensais constamment que tout ce que je faisais était mal, je me sentais mauvaise mère, seule et isolée » écrit Marion, qui a accouché le 16 mars. Marine, elle aussi, raconte qu'elle a connu « beaucoup de moments difficiles et de sentiments culpabilisants », tout comme Alicia :

« 5 semaines après mon accouchement, j'ai l'impression que le blues post accouchement des premiers jours est toujours présent. Je pleure dès que j'évoque mon accouchement. J'ai l'impression qu'on m'a "volé" ces moments qui auraient dû être magiques... Je le vis assez mal tout en "culpabilisant" car on a la chance d'avoir notre fille avec nous. »

Adrien Gantois, sage-femme libéral et président du Collège National des Sages-femmes de France, s'inquiètait déjà d'une hausse des dépressions du post-partum  : 

« Ce que l’on voit aujourd’hui c’est qu’il y a un isolement social, beaucoup de parents se retrouvent isolés et n’ont plus le soutien de leur famille. Cela nécessite des ajustements et une relation avec un professionnel de santé.  Donc il faut bien expliquer qu’il existe des professionnels qui sont disponibles pour appuyer et orienter les patientes susceptibles de faire des dépressions post-natales. Ces dépressions concernaient avant la pandémie 20% des femmes. C’est un chiffre qui est tout de même inquiétant et qui nécessite un vrai suivi par les professionnels. »

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