Lors de son allocution du lundi 13 avril, le Président de la République Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’un déconfinement progressif à compter du 11 mai.
En première ligne de ce déconfinement, les crèches et les établissements scolaires. Cette annonce du Président de la République a fait grand bruit. Alors que la France affronte toujours la crise sanitaire due au Covid-19, cette annonce a été accueillie avec perplexité et inquiétudes par les enseignants, les parents et certains spécialistes.
Une annonce qui a surpris les enseignants et les parents
Interrogé dans le Journal de 20 heures de France 2, le mardi 14 avril, Jean-Michel Blanquer est revenu sur l’annonce du Chef de l’État. Lors de cet interview, le ministre de l’Éducation nationale a affiné les propos du chef de l’état évoquant « un retour à l’école qui ne serait pas obligatoire le 11 mai » et préconisant un retour « progressif ».
Dans un souci de limiter la taille des classes et les risques de contagion, il évoque plusieurs pistes comme un retour à l’école « selon le niveau, les catégories d’élèves et avec des horaires réduits ». Le ministère se laissant deux semaines pour fournir une feuille de route plus précise.
Ces annonces dans le contexte de la crise sanitaire actuelle n’ont pas rassuré les enseignants. Sarah est enseignante d’une classe de CP dans une zone prioritaire d’Amiens. Pour elle, la décision du gouvernement est précipitée :
« Je trouve cette décision trop précoce et surréaliste. Quand on connaît le peu de moyens dont on dispose dans les écoles. Pas assez de savon, pas d’essuie-main, deux toilettes pour 150 enfants, un temps de ménage réduit par classe. On a de quoi être effrayé par ce qui pourrait nous attendre. J’ai tout de suite pensé à mes élèves de 6-7 ans, en me demandant comment j’allais faire pour les mettre en sécurité́, sans moyen et sans protection. »
Même son de cloche du côté de Marie, directrice d’une école maternelle à St-Briac, pour qui cette reprise même progressive parait improbable :
« À vrai dire je n’y crois pas vraiment. Évidemment avec la crise économique, on se dit que faire revenir les enfants à l’école, ça permet aux parents de retourner travailler. Mais dans les faits, ça me parait compliqué. Que ce soit au sein des enseignants ou des familles, de nombreuses personnes sont à risques. Ce matin encore, j’ai eu des parents au téléphone qui me disait qu’ils ne prendraient pas le risque d’envoyer leurs enfants à l’école alors que l’épidémie fait encore rage. »
Déconfinement des écoles : un risque de faire rebond de l’épidémie ?
De nombreuses études sont en cours afin de déterminer l’impact du virus chez les plus jeunes. Parmi les spécialistes, épidémiologistes ou médecins, cette question du déconfinement des plus jeunes fait débat.
Pour Catherine Hill, épidémiologiste, ancienne cheffe de service de biostatistique et d’épidémiologie à l’Institut Gustave Roussy, la date du 11 mai pour réouverture des écoles pourrait entraîner un risque accru de contamination :
« Le 16 avril , 270 personnes nouvelles sont arrivées en réanimation. Nous ne savons pas comment elles se sont contaminées. Avant de penser à un déconfinement des écoles, il faudrait comprendre comment le virus circule dans le pays malgré le confinement. Il faudrait dépister un échantillon aléatoire de la population afin de nous rendre compte de la situation. Pour ce qui est des écoles, une réouverture pourrait entraîner un risque de rebond l’épidémie. Le problème, c’est comment on protège de la contamination les enseignants, les personnels des écoles, ainsi que les familles des enfants. »
Du côté de l’Ordre des Médecins, cette décision de déconfinement des écoles « est un manque absolu de logique ». Une réouverture reviendrait à « remettre le virus en circulation » d’après Patrick Bouet, président de l’O rdre des Médecins dans un entretien avec nos confrères du Figaro. Pour lui, les enfants sont des vecteurs potentiels et il n’y a « pas d’explication médicale, infectieuse ou épidémiologique à déconfiner dans en milieu scolaire en premier. »
« Impossible de faire respecter les gestes barrières à des tout-petits »
Pour les enseignants, la situation ne permet pas un retour à la normale. Il faut que la sécurité des élèves et du personnel soit assurée en premier lieu. D’autant plus qu’avec les plus jeunes, il est difficile d’opérer les gestes barrières :
« Comment faire respecter les gestes barrières à des enfants de maternelle ou de CP ? Ils mettent tout à la bouche, nous manipulons toute la journée les mêmes outils, jeux, crayons, cahiers...Comment les garder à distance dans des classes minuscules ? Pour le peu de temps de classe qu’il reste, je trouve ces décisions surréalistes, niant tout bon sens. L’école ne doit pas devenir une garderie, les enseignants, personnels des écoles et les enfants ne doivent pas être sacrifiés. »
Pour Chloé, instructrice en IME (Institut médico-éducatif) en Bretagne, ces gestes barrières en période d’épidémie ne sont pas possibles avec une classe de 11 élèves handicapés :
« Bien que nous fonctionnons en petit groupe tout le temps, il est très difficile d’appliquer des gestes barrière. Ce sont des enfants qui ont besoin de contact régulier. Nous travaillons énormément à partir du toucher. Dans ce contexte sanitaire, je ne vois pas comment nous pourrions travailler. Une reprise progressive va demander du temps et une organisation différente. »
Assurer la continuité pédagogique à distance avant de penser l’école post Covid-19
Dans ce contexte épidémique peu rassurant pour les enseignants, un déconfinement progressif après le 11 mai semble inenvisageable. Malgré la difficile mise en place de la continuité pédagogique à distance, les enseignants pensent qu’il est préférable de maintenir ce système jusqu’aux vacances scolaires d’été.
Marie, directrice et enseignante en maternelle, témoigne :
« Tant qu’enseignants et parents sont dans la crainte, une réouverture d’école ne sert à rien. D’un point de vue sanitaire, l’enseignement à distance reste la meilleure solution. Il est vrai qu’en maternelle où il n’est pas possible d’envoyer chaque outil ou objet aux familles, fonctionner par écrit est difficile. Mais c’est possible, on essaye de faire le lien avec les familles et de leur expliquer que chaque activité du quotidien peut apporter un apprentissage au niveau de la motricité, la lecture ou le langage. Nous gardons un lien constant avec nos élèves. Évidemment que nous préférerions être en classe, mais la santé doit primer avant toute chose ».