Les individus sont-ils responsables du changement climatique ?
Pour comprendre le sens de "responsabilité", il faut d'abord définir ce terme. La philosophe Catherine Larrère donne l'exemple suivant : "Pierre a volé le vélo de Marie." Pierre est responsable du préjudice causé à Marie, car il est à l'origine du vol et a agi dans l'intention de nuire. En ce qui concerne la cause, c'est assez clair : le changement climatique actuel est effectivement causé par l'activité humaine, émettant une quantité excessive de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. C'est un fait scientifique établi, confirmé par plus de 99% des études mondiales. Ainsi, l'humanité est responsable car elle est à l'origine du problème.
Cela signifie-t-il que nous, en tant qu'individu (petit élément) de la population mondiale, sommes également responsable ? La réponse est plus complexe, comme le souligne Catherine Larrère : "Le changement climatique est un phénomène global : tout le monde pollue à son échelle. La responsabilité est diffuse. Les causes et les effets sont séparés dans le temps et dans l’espace. Impossible de savoir qui a émis telle quantité de CO2 dans l’atmosphère. Et il n’y pas d'intention de nuire : personne n’a eu envie de provoquer le changement climatique !"
Nos choix de vie ont-ils une importance ?
Comment considérer les discours qui nous encourage à réduire notre empreinte carbone, en préférant le train à l'avion ou en réduisant notre consommation de viande ? Si nous ne sommes pas responsables du changement climatique, ces choix ne devraient-ils pas faire peu de différence ?
Même si "on ne peut pas suivre la conséquence de chaque action, additionnées, la somme de ces actions ont un poids sur le climat" relève Catherine Larrère. Nos choix ont bel et bien des conséquences. Nous avons donc une part de responsabilité, mais nous ne somme pas coupables en tant qu'individus. Là voilà, la subtilité.
Individu VS "le système" : à qui la faute ?
C'est un débat récurrent sur les questions environnementales : qui, des citoyens ordinaires ou des États et des grandes entreprises, doit faire le premier pas ?
Comme mentionné précédemment, une partie de la pollution que nous générons est liée à nos choix personnels. Par exemple, décider de prendre un vol pour un week-end de trois jours à Marseille, peut ête lié à un manque de connaissance sur le climat ("ah bon, l'avion pollue ?"), à nos revenus (l'aller-retour Paris-Marseille en train est trop cher), mais aussi à notre libre-arbitre. Par flemme, par égoïsme... on peut choisir de prendre cet avion pour le week-end, même si on sait que ce n'est pas idéal pour la planète, et quand bien même on a les moyens d'y aller en train.
Quelles que soient nos bonnes intentions, nos choix dépendent également du cadre établi par la société (alternatives, infrastructures...). Pour reprendre l'exemple du week-end : on aurait peut-être pris le train si les billets de train étaient moins chers, ou si on avait droit à jour de congé supplémentaire pour effectuer le trajet...
Adopter tous les éco-gestes possibles ne réduirait notre empreinte carbone individuelle "que" de 25% selon Carbone 4. Même en prenant des mesures plus ambitieuses, comme changer de modèle de voiture ou isoler sa maison, ces efforts ne représenteraient qu'une réduction totale de 40% de notre empreinte carbone. "Même si on faisait tous parfaitement nos éco-gestes, ça ne suffirait pas à stopper le changement climatique", résume le militant écologiste Hugo Viel. C’est le fonctionnement de la société dans son ensemble qu’il faut changer. C’est la responsabilité du politique de nous donner des outils pour vivre différemment. Et pourtant rien n’est fait."
Pour Émilie Gaillard, maîtresse de conférences en droit privé à Sciences Po Rennes, les citoyens sont ceux que l'on culpabilise le plus pour leur impact environnemental, alors que les multinationales sont les plus grands pollueurs. Le groupe TotalÉnergies a par exemple émis 410 millions de tonnes de CO2 sur la seule année 2019 (1477 milliards de tonnes selon Greenpeace).
Oui mais, si Total existe, c'est bien parce que des gens continuent d'acheter de l'essence ? Hugo Viel prévient : "C’est exactement un argument que met en avant Patrick Pouyanné [le PDG de Total ndlr]. Il mise sur le statu quo, sur le fait que la société aura toujours besoin de pétrole dans 50 ans. Dire que les gens doivent arrêter d’eux-mêmes le pétrole, c’est faire peser toute la responsabilité du changement sur eux. On en revient à la question du cadre : si y a pas une ligne de train près de chez moi, je vais bien être obligé de faire rouler sa voiture. "
Sommes-nous plus responsables que d'autres ?
Face au changement climatique, notre responsabilité est partagée (nous avons tous un rôle à jouer), mais différenciée (certains polluent plus que d'autres). Qui sont les plus responsables ?
Les pollueurs historiques
L'humanité a commencé à émettre massivement des gaz à effet de serre au début de la révolution industrielle, au XIXe siècle. La responsabilité historique de certains pays (les pays du Nord, comme les États-Unis ou la France) est donc importante à considérer, surtout parce que les pays du Sud qui ont historiquement peu pollué sont aujourd'hui les plus touchés par les conséquences du changement climatique. "Quand la Chine est devenue le premier pays émetteur, ça n’a plus eu grand sens de parler de la responsabilité historique, nuance Catherine Larrère. Mais cette question reste importante."
Les plus riches
En général, plus une entité est riche, plus elle pollue. Cela se vérifie entre les États : si on reprend l'exemple duJour du dépassement, en 2023, l'humanité a consommé en moyenne l'équivalent en ressources naturelles de 1,75 planète Terre, cependant, si tout le monde vivait comme un Américain, il aurait fallu 5 planètes Terre.
Ces inégalités se vérifient également à l'intérieur d'un pays, entre les individus. En France, selon Oxfam, 63 milliardaires polluent autant que 50% de la population française. Ce chiffre concerne l'empreinte carbone du patrimoine financier des milliardaires français (c'est-à-dire leurs investissements dans les entreprises les plus polluantes) et non leur empreinte carbone quotidienne.
Vis-à-vis de qui sommes-nous responsables ?
En premier lieu, vis-à-vis des autres êtres humains ! Particulièrement envers ceux qui subissent les conséquences du réchauffement climatique alors qu'ils émettent souvent le moins de CO2.
Le changement climatique a également un impact sur l'ensemble des êtres vivants non-humains (animaux, plantes, insectes... toute la biodiversité) et aura des répercussions sur les générations futures. Nous avons donc une responsabilité envers eux. Cet enjeu a été porté en 2018 par la campagne "Notre constitution écologique" qui cherchait à modifier l'article 1 de la Constitution française pour intégrer le principe de "non-régression", c'est-à-dire le fait de garantir que nos actions ne portent pas atteinte aux intérêts des générations futures et ainsi assurer une sorte d'équité intergénérationnelle.
"Les générations d’avant ont toujours pensé que leurs enfants et petits-enfants vivraient mieux. Aujourd’hui, la question se pose : quel monde a-t-on envie de laisser à la génération d’après ?", s'interroge Hugo Viel
Pour Émilie Gaillard, la question des générations futures représente une révolution réelle dans le droit international. "Si on prend l'exemple du rejet des eaux de la centrale de Fukushima, on peut dire que c’est un crime vis-à-vis des générations futures. Cette eau va contaminer les océans, contaminer la biodiversité marine et forcément impacter les générations suivantes. Et à l’heure actuelle, nous n’avons aucune maîtrise sur les conséquences de cette contamination."
Pourquoi se poser cette question ?
Pour savoir qui doit réparer ses erreurs
Chercher un coupable aide-t-il vraiment à résoudre le problème ? Oui pour Catherine Larrère, qui considère que "la question de la responsabilité n'est pas stérile". La responsabilité historique est notamment importante selon elle : "Certains pays préféraient qu’on en parle pas, mais elle ne peut pas être laissée de côté."
Pour Hugo Viel, "si on veut savoir qui est vraiment responsable uniquement pour faire porter la faute à un tiers et le faire culpabiliser, ce n’est pas la peine". "L’idée est d’identifier l’origine du problème pour mieux pouvoir le résoudre. Se demander qui contribue le plus au réchauffement climatique permet aussi de savoir qui sera en charge de réparer les dégâts."
Pour prendre conscience des conséquences de nos actes
Le changement climatique étant un phénomène global, on pourrait facilement en venir à se dire qu'en tant qu'individu, nos actions n'auront pas vraiment d'impact direct sur l'avenir de la planète. Ajoutons à cela le fait que la France ne représente que 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cependant, ce n'est pas si simple. Pour Catherine Larrère, "il ne faut pas uniquement mesurer la valeur de nos actions à leurs conséquences mais aussi si elles sont bonnes ou pas".
"Par exemple, si je conduis en état d’ivresse et que je renverse quelqu’un je vais me sentir coupable. Mais si je ne renverse personne, ça ne veut pas dire pour autant que j’ai bien agi. Pour le réchauffement climatique c’est pareil : l’important c’est de faire en sorte d’y prendre le moins part possible."