Une soirée pour l'éternité. Pour la natation française, d'abord ; le sport tricolore, aussi ; mais surtout, surtout, pour le nouvel empereur des bassins. Léon Marchand a fait un plongeon brutal vers une dimension à mi-chemin entre sa réalité de jeune homme de 22 ans aux rêves immenses et un monde paranormal où le nageur hors norme est déjà monté à trois reprises sur le toit de l'Olympe.
En réalisant, mercredi 31 juillet, ce doublé 200 m papillon et 200 m brasse jamais réalisé dans l'histoire de la natation – femmes et hommes confondus –, le nouveau triple champion olympique a définitivement marqué ces Jeux de son empreinte.
"C'est indescriptible ce que l'on a vécu ce soir, je ne sais même pas quoi dire", a d'ailleurs tenté de réagir, le visage rougi par les larmes, Nicolas Castel, l'un des mentors du génie français depuis ses débuts aux Dauphins du TOEC, à Toulouse, il y a près de quinze ans.
Un doublé "juste exceptionnel"
Quelques minutes plus tôt, et alors qu'on entendait encore les tribunes incandescentes de Paris La Défense Arena reprendre la Marseillaise une nouvelle fois, c'est Bob Bowman qui est venu exprimer "l'honneur d'être aux côtés" de Léon Marchand. Celui qui aura "conçu" Michael Phelps, la légende aux 28 médailles olympiques, a rendu un vibrant hommage à sa nouvelle star.
"Ce doublé montre le travail incroyable qu'il a fait depuis de nombreuses années. Ce n'est pas juste ce soir, mais la manière dont il a planifié tout ça, c'est juste incroyable et j'en suis très fier. Il doit maintenant survivre face au succès. Il ne sait pas ce qui l'attend, mais s'il y parvient, ça sera une bonne chose."
Bob Bowman, coach de Léon Marchand et ancien mentor de Michael Phelpsà franceinfo: sport
Jamais, jusqu'ici, une nageuse ou un nageur n'avait remporté deux médailles sur ces deux courses diamétralement opposées techniquement et physiologiquement. Un exploit que même Michael Phelps n'avait jamais été capable d'accomplir, n'ayant pas les qualités pour y parvenir selon... Bob Bowman. "Moi, ce que je poursuis, c'est la promesse que j'ai faite à un gosse il y a trois ans, a avancé le coach de 59 ans avec son habituel ton solennel. Parce que c'était un challenge pour lui, mais aussi pour moi, donc le réussir, c'est juste exceptionnel."
Le principal intéressé, de son côté, ne réalisait pas, plus d'une heure après sa deuxième Marseillaise sur le podium de la soirée. Il restait surtout ce gamin qui venait d'ouvrir "son cadeau de Noël", heureux de vivre un moment hors du temps, marqué notamment par une communion formidable avec les 17 000 âmes présentes dans l'enceinte. "C'était assez fou déjà d'être en finale sur ces deux courses mais qu'est-ce que j'ai kiffé !, a-t-il d'abord lancé, libéré comme jamais, en arrivant face à la presse. Le 200 m papillon, il y a eu une rivalité de dingue mais j'ai adopté la bonne stratégie. Puis dans les derniers mètres, j'ai entendu cette piscine qui était en feu ! C'était juste dingue de vivre ça en tant que nageur français. Ça m'a donné des frissons toute la course."
"Demain, le 200 m 4 nages !"
Pour le voir exulter, il a cependant fallu attendre qu'il jette un coup d'œil au tableau d'affichage montrant son nom tout en haut, un deuxième record olympique de la soirée à la clé (2'05''85). Avant de se laisser bercer par l'air mythique du taulier Johnny Hallyday et sa chanson "Que je t'aime !" entonnée par la foule quelques secondes plus tôt. Un moment suspendu comme il y en a peu.
Cet instant n'aura pourtant duré que deux minutes pour le champion. Car, moins d'une heure plus tard, Léon Marchand regardait déjà plus loin : "J'ai réalisé beaucoup de rêves depuis que je suis ici mais surtout, il va falloir que je me reconcentre car demain, j'ai le 200 m 4 nages !" Sa manière à lui de rappeler à tous que sa quête ne fait que commencer.