Si vous possédez des places pour les épreuves de tir à l'arc, cette mélodie risque de devenir familière. Aegukga, l'hymne sud-coréen, retentira sûrement plus d'une fois aux Invalides, du dimanche 28 juillet au dimanche 4 août. Depuis 1984, le pays a raflé pas moins de 43 médailles dans la discipline, dont 27 en or. La densité au plus haut niveau y est telle que la triple championne olympique de Tokyo, An San, n'a pas réussi à intégrer la liste des archers sélectionnés pour représenter la Corée du Sud à Paris cet été.
Si le tropisme des Coréens pour la discipline est ancestral avec la création du gakgung – un arc à base de corne de buffle – au Ier siècle avant J.C., son développement dans la partie méridionale de la péninsule ne remonte qu'aux années 1970.
Une expertise qui s'exporte
A cette époque, un regain de tensions avec la Corée du Nord amène le gouvernement militaire du Sud à encourager les femmes à manier l'arc. La pratique sportive gagne ensuite en popularité à partir de 1981, année d'attribution des Jeux de 1988 à Séoul. Pour briller à domicile, les fédérations sportives sont soutenues financièrement par des firmes sud-coréennes, dont le géant de l'automobile Hyundai, qui sponsorise toujours les événements de tir à l'arc, notamment la Coupe du monde. De quoi offrir les meilleures infrastructures possibles aux archers les plus performants, filtrés dès l'entrée au collège.
"Aujourd'hui, il y a énormément de business team en Corée. C'est comme si on avait l'équipe Orange, l'équipe SFR, l'équipe Lagardère et l'équipe PSG de tir à l'arc. Le tout, avec un salaire conséquent qui leur permet de ne penser à rien d'autre", ajoute Jean-Charles Valladont. Preuve de cette suprématie, les entraîneurs locaux sont désormais débauchés à l'étranger afin d'apporter leur expertise.
La Fédération française de tir à l'arc (FFTA) a ainsi attiré Oh Seon-tek, qui a mené la Corée du Sud vers six titres à Sydney en 2000 et à Londres en 2012. A son arrivée en février 2022, le nouvel entraîneur national de 63 ans a tout changé, hormis peut-être la bonhomie de Jean-Charles Valladont, qui continue d'apporter des terrines de sanglier à ses coéquipiers de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Des plumes d'empennage, à l'extrémité des flèches, aux encoches sur la corde des arcs… Rien n'a été laissé au hasard sur le plan du matériel.
Du mal à se comprendre au début
Mais le plus dur pour les Français a été d'accepter un changement dans la façon de tirer, requête de celui qu'on surnomme Monsieur Oh. "Avant lui, on recherchait un tir très en force avec les muscles contractés pour gagner en stabilité. Pour les Coréens, la puissance fonctionne, mais ils estiment que l'on perd en régularité avec le stress. Leur technique portée sur un tir plus souple, avec du relâchement, permet de réduire les erreurs", explique Jean-Charles Valladont. Il reconnaît avoir eu "un peu d'appréhension" lorsqu'on lui a demandé de modifier ce qui l'a amené vers l'argent olympique à Rio.
"Les premiers mois, c'était compliqué avec Monsieur Oh, parce qu'on ne se comprenait pas. J'ai aussi été bête, je ne voulais pas changer. Je croyais avoir un statut parce que je venais d'être n°1 mondiale et double championne d'Europe. Maintenant, cela ne me fait plus stresser de savoir qu'il est derrière moi quand je tire."
Lisa Barbelinà franceinfo: sport
Egalement sélectionné pour les Jeux, son compagnon, Thomas Chirault, a connu une blessure à l'épaule liée à la nouvelle posture.
"Grâce au travail effectué, c'est beaucoup mieux qu'il y a un an. Maintenant, j'ai l'impression que les archers sentent si une flèche est bien ou mal tirée. Avant, ils n'avaient pas encore intégré ma philosophie, il y a une vraie évolution", confirme Oh Seon-tek, avec l'aide d'un traducteur. S'il a supprimé la musculation et le cardio du programme quotidien de ses disciples, l'entraîneur reste à leur écoute, contrairement à la doctrine coréenne, très hiérarchique. La méthode paye : un mois après un doublé en or par équipes aux championnats d'Europe, Bleues et Bleus se sont hissés en finale de la manche de Coupe du monde à Antalya (Turquie) fin juin, avant de perdre… contre la Corée du Sud.
La promesse d'une revanche aux Jeux ? "Honnêtement, on est en dessous d'eux en termes de technique, tempère Oh Seon-tek. Ce qui va être déterminant, c'est le mental : notre capacité à rester concentrés, confiants et réguliers. Il y aura 8 000 spectateurs et les Coréens ont beau maîtriser la technique... Sous stress, on ne sait jamais".
Pour se familiariser avec les conditions que les athlètes retrouveront le jour J, la FFTA a mis en place des "réplicas", des entraînements avec plus d'un millier de spectateurs à l'Insep. Reste à savoir si cela sera suffisant pour faire fructifier cette philosophie à la coréenne et trouver un successeur à Sébastien Flute, seul champion olympique tricolore de tir à l'arc, à Barcelone en 1992.