Que ce soit son frère, ses amis volontaires de Paris 2024, ou même les gérants du café d'en bas de chez lui qui affichent une photo de leur champion près de la caisse, tous le décrivent affectueusement d'une même expression : "la Tornade". A bientôt 39 ans, Nacer Zorgani est le genre de personne que l'on n'oublie pas, avec sa canne blanche. Un brin hyperactif, il s'est lancé dans un été à jongler avec de multiples casquettes. Celle de sportif l'a mené jusqu'à ce samedi 7 septembre, où il concourt chez les -90 kg en parajudo (catégorie J2, athlètes malvoyants).
Malvoyant en raison d'une dégénérescence progressive de la rétine qui lui a été diagnostiquée à ses 17 ans, le Marseillais dispute ses premiers Jeux paralympiques. Et ce, alors qu'il n'a repris le judo que depuis deux ans et demi. Mais il ne partait pas de zéro non plus. "C'est comme si le judo venait compléter une expérience martiale de vingt-cinq ans", souligne celui qui pourra arborer sa ceinture noire, obtenue mi-juin.
Karaté, kick-boxing, boxe pieds-poing, taekwondo, aïkido, ju-jitsu, sabre... Il a presque tout essayé, en plus d'être devenu en 2017 le premier licencié amateur avec une déficience visuelle de boxe anglaise, sa discipline fétiche. "Le sport m'a sauvé la vie. J'ai commencé à mieux visualiser l'espace grâce à la pratique de tous ces arts martiaux. Cela m'a vraiment appris à perdre la vue", explique-t-il. De quoi lui valoir le surnom de "Zatoïchi", en référence à une série de films japonais qui met en scène un samouraï aveugle.
Toujours un projet sur le feu
Ce côté touche-à-tout, Nacer le tient de son père, arrivé d'Algérie en 1969 pour s'installer dans le quartier de la Belle-de-Mai, à Marseille. "Avant, j'étais un grand timide, on se moquait souvent de moi. Quand j'ai commencé à perdre la vue, je n'arrivais plus à lire le tableau ou voir le numéro des bus pour aller à l'école. J'avais honte de demander de l'aide, j'étais tétanisé par le regard des autres", détaille le grand gaillard, 102 kg à la pesée pour 1,83 m. A le voir saluer tout ceux qu'il croise avec la même jovialité communicative derrière ses lunettes de soleil rondes, on se dit que le temps a bien fait son œuvre.
"Un jour, un ami m'a dit : 'Nacer, soit tu traverses ta vie comme une étoile filante, soit tu restes dans un trou noir perdu dans l'espace'. C'est un peu ma devise depuis, quitte à se brûler les ailes en tentant des choses."
Nacer Zorganià franceinfo: sport
Après des études de philosophie – "mon père se fichait de moi : 'T'as pris la matière où il y a le plus de bouquins à lire alors que tu vois mal, t'es con !'" – le futur paralympien avide de toujours plus de connaissances enchaîne donc sur une licence de langues et commerce international, puis termine deux masters dans le monde de la finance. Ensuite, il allonge son CV chez Canal+, Thales ou encore Vivendi, où il manie les fusions-acquisitions à bras le corps, façon kumi-kata.
"Les gens ne savent pas ce que c'est que d'être tout le temps vu comme une victime. Ça donne envie de tout faire pour se dépasser. C'est pour ça que je donne parfois l'impression d'être dispersé. Moi ça me nourrit, ça me construit", avoue le natif d'Alger, toujours fourré sur une moto-taxi entre ses rendez-vous. C'est dans le cadre de ce combat qu'il s'est lancé dans le stand-up ces dernières années avec un pseudo bien connu des scènes parisiennes : L'Handicapable. Une façon aussi de débuter "une thérapie par l'humour" après une grosse période de dépression en 2014.
"Ça m'a permis de remonter la pente après des galères sur le plan financier, sentimental et mental. Je me suis fait opérer du bas du dos pour une hernie discale foudroyante, le médecin m'a dit que je ne referai plus de sport car je n'arrivais plus à bouger ma jambe", raconte-t-il. "Comme les copains et les sorties", Nacer a néanmoins mis cette activité en suspens cette année pour s'adonner à 100% à sa préparation pour les Jeux.
Sur les tatamis du PSG avec Riner et compagnie
Salarié de Paris 2024, pour qui il est chef de projet senior chargé de l'engagement des volontaires, il s'est également vu confier le rôle de speaker pour présenter les combats de boxe des Jeux olympiques. La consécration pour lui, qui a commencé ce hobby après avoir entendu l'Américain Michael Buffer animer le championnat du monde de boxe entre Anthony Joshua et Wladimir Klitschko en 2017. "Petit à petit, à force de l'imiter pour faire rire les collègues, j'ai été repéré et me voilà", résume-t-il, sans oublier de mentionner son expérience acquise lors de précédents galas.
S'il a été assisté par plusieurs volontaires pour suivre le conducteur des soirées, le showman a mémorisé par coeur les 235 combats qu'il a eu à introduire aux JO. Afin de lui permettre de mener à bien ses deux missions, l'organisation lui a même fourni un espace sur les sites de Villepinte et Roland-Garros, où avaient lieu les épreuves du boxe, pour ses entraînements de judo. "Je savais que ce seraient des semaines difficiles, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit si intense. Je me donne à 200%, mais c'est de la bonne fatigue", assure-t-il, tandis que son téléphone débite sur haut-parleur ses derniers SMS reçus en lecture accélérée.
Dans sa catégorie, il le concède, Nacer Zorgani ne fait pas partie des favoris, mais l'essentiel est ailleurs. "Quoiqu'il arrive, je n'aurai aucun regret car j'ai déjà gagné ! Je fais partie de ceux qui pourront dire qu'ils ont fait les Jeux de Paris. Avec le rythme de vie que j'ai, c'est inespéré d'être là", lance-t-il. Alors qu'il venait de ressortir le kimono du placard pour le plaisir en 2022, il a été invité par Djamel Bourras, le président du PSG Judo, à rejoindre le club après un dîner ensemble.
"Quand j'arrive au dojo, il y a Romane Dicko, Amandine Buchard, Teddy Riner, Luka Mkheidze... Ils voient débouler un malvoyant qui n'a pas fait de judo depuis 1 000 ans. C'est comme si un pilote de kart se retrouvait en Formule 1."
Nacer Zorganià franceinfo: sport
Revenu tel un phénix – selon un parallèle qu'il adore – après deux graves blessures au genou et à la clavicule lors de sa préparation terminée à l'AS Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), Nacer Zorgani ne fait pas une obsession de la médaille d'or. Mais s'il venait à monter sur le podium, il sait déjà comment célébrer : "J'aimerais m'annoncer moi-même comme speaker, obligé."