"Un pilote de Formule 1, on lui parle de sa voiture. Un para-athlète, on lui parle de son guide : c'est pareil", résume Gautier Simounet, responsable des guides de l'équipe de France de para-athlétisme, et lui-même ancien guide. "On a sept guides dans l’équipe de France d’athlétisme. Ce sont des athlètes valides qui assistent les athlètes déficients visuels lors de l'épreuve, mais aussi en dehors". Des anges gardiens qu'on retrouve également en paratriathlon et paracyclisme, et dont le statut évolue enfin.
"C'est important de parler d'eux", martèle ainsi Trésor Makunda, sprinteur quintuple médaillé aux Jeux. " Pendant longtemps on se battait pour avoir un guide par athlète, aujourd'hui on en a quasiment deux chacun. Ça a été une bataille menée par le staff pour nous mettre dans les meilleures conditions". Médaillé d'or à Pékin et Londres en guidant Assia El Hannouni, Gautier Simounet était chargé de dénicher ces précieux renforts et de former "ces nouveaux guides qui n’ont pas encore d’histoire avec le handisport, le paralympisme, pour leur inculquer ce qu'on attend d’eux en dehors de la performance."
Courir en miroir
Concrètement, le guide (ou assistant) dispute l'épreuve aux côtés de son para-athlète. En course à pied, ils sont reliés par des anneaux en silicone tenus dans la main, et courent en miroir, explique Gautier Simounet : "Dès les starting-blocks, on doit être à l’opposé : si l’athlète met la jambe gauche devant, le guide met la droite. Le guide parle aussi pendant la course, pour situer l'athlète, parler de stratégie. On a des codes pour êtres concis."
"Il y a aussi de la communication non verbale avec le bras, qui sert de gouvernail, si on tire sur le bras de l’athlète."
Gautier Simounet, responsable des guides en para-athlétismeà franceinfo: sport
Autre règle en athlétisme : le para-athlète doit franchir la ligne en premier, quoi qu'il arrive, tandis que le guide ne doit pas tirer sur le lien, ni mordre dans les couloirs. En paracyclisme, le duo se trouve sur un tandem piloté par le guide, à l'avant. "Mon guide, Yoann, me décrit ce qu'il voit, me prévient quand il faut changer de position, se mettre en danseuse. Il est mes yeux. On prend les décisions ensemble, ensuite, s'il faut attaquer", témoigne ainsi Alexandre Lloveras, champion paralympique de contre-la-montre.
En triathlon, le principe est le même, avec un lien au niveau des cuisses ou des hanches. "Le même guide fait toute la course, explique Nicolas Becker, entraîneur de l'équipe de France de paratriathlon. Le guide ne doit pas être un frein pour l'athlète, et donc doit être légèrement meilleur pour que l'athlète s'exprime à 100 %. Mais il doit aussi encourager, accompagner, commander, prévenir des dangers, et aider lors des transitions."
Des jambes, mais pas seulement
Recrutés par le bouche à oreille, petites annonces ou concours de circonstances, les guides doivent donc avant tout avoir un niveau sportif élevé. "On a énormément de guides qui sont des anciens athlètes olympiques", souligne Nicolas Becker. Mais le physique ne fait pas tout dans ce rôle avant tout hautement humain. Alexandre Lloveras a ainsi plusieurs fois changé de guide ces dernières saisons, pour des motifs tant sportifs qu'humains.
"Avec mon précédent guide, ça a très bien marché sur la piste aux Mondiaux de Glasgow mais on était trop loin sur la route. On a fait un choix sportif stratégique en prenant un guide plus fort sur la route..."
Alexandre Lloveras, champion paralympique de cyclismeà franceinfo: sport
Son nouveau guide, c'est Yoann Paillot, ex-cycliste professionnel de second rang, qui était sur le point de raccrocher le vélo quand il a été contacté par l'équipe de France de paracyclisme. "Je n’avais jamais essayé le tandem, j’en avais marre du haut niveau, et dès le premier stage à Roubaix, ça m’a plu", glisse Yoann Paillot, malgré une chute sur la chaussée humide roubaisienne lors de ce stage, à l'hiver dernier. Un incident qui n'a pas entamé la confiance entre le néo-guide et Alexandre Lloverras.
"On passe quasiment une semaine sur deux ensemble depuis janvier. Si on ne s’entend pas bien, ça peut être long et ça se sent sur le vélo ensuite. C’est déjà arrivé qu’en tandem, des équipages s’arrêtent sur le bord de la route pour se taper dessus."
Alexandre Lloveras, champion paralympique de paracyclismeà franceinfo: sport
"Si on ne se dit rien, si on ne parle que dans la chambre et sur le vélo, on le ressent en terme de cohésion. C'est déjà un sport d’équipe, mais là encore plus puisqu’on est deux sur le même vélo. Il faut être synchro toute la journée", abonde Yoann, chargé par exemple de porter le plateau d'Alexandre à la cantine ou de l'aider à prendre ses marques à chaque changement de lieu.
"Dans un bâtiment nouveau, quelqu’un de valide va mettre un ou deux jours à prendre ses marques. Pour les déficients visuels, il faut multiplier par trois ce temps d’adaptation. En dehors des compétitions, les guides sont des mains et des yeux en plus, explique Gautier Simounet. On court pour quelqu’un, plus pour soi, il faut mettre son ego de côté. Il faut des qualités sportives oui, mais des qualités humaines surtout."
"Rien ne dit qu’Usain Bolt aurait été un bon guide, car courir vite ne suffit pas. C’est la base, mais le côté humain est super important, en dehors de la piste, pour créer cette confiance entre binôme, aider l’athlète dans les petits gestes du quotidien."
Gautier Simounet, responsable des guides de l'équipe de France de para-athlétismeà franceinfo: sport
"Être guide, c’est être là, même dans les silences. Sur les compétitions, ils partagent leur chambre, c’est ce qu’il y a de mieux pour la cohésion, en dehors des binômes mixtes, évidemment, ajoute Gautier Simounet. Parfois, il y a plusieurs personnes autour du duo pour que le guide puisse avoir des respirations aussi. On ne peut pas tout leur demander non plus, parce que le niveau est tellement haut aujourd'hui, que les guides ont besoin de faire leurs courses à fond aussi. Ils ne peuvent pas se permettre d'être à 90%", ajoute Nicolas Becker.
De plus en plus reconnus
Cet investissement personnel des guides est d'autant plus important qu'il relève souvent du bénévolat, même si la situation s'améliore année après année. "En 2008, quand j'ai annoncé à ma famille que j'allais être guide à Pékin, mon cousin m'a demandé comment je connaissais aussi bien la ville. Il pensait que je serai guide touristique, sourit Gautier Simounet. Maintenant, les guides ont le statut de haut niveau comme leur athlète, et le même niveau de reconnaissance financière en cas de médailles. D'ailleurs, depuis 2012, ils reçoivent une médaille."
Même son de cloche du côté du sponsoring, puisque les équipementiers habillent désormais les guides. Ce qui n'était par exemple pas le cas de Gautier Simounet en 2008 à Pékin, flanqué d'une célèbre marque américaine à ses propres faits, aux côtés de son athlète, égérie d'une marque allemande à trois bandes. Un détail pour ce dernier pour qui, être guide, enrichit autrement que pécuniairement
"J’ai connu des expériences folles, humaines et sportives grâce au handisport. J’ai intégré l’équipe de France handisport avec des athlètes aux handicaps et parcours différents, qui font relativiser sur la vie."
Gautier Simounetà franceinfo: sport
"J’ai fait le tour du monde grâce aux compétitions, rencontré des tas de personnes, des cultures, j’ai grandi grâce à tout ça. J’ai même été récompensé par la légion d'honneur et la médaille de l’ordre national du Mérite. J’ai couru dans des stades de 80 000 personnes. Toutes ces choses, je ne les aurais jamais vécues sans le handisport", conclut Gautier Simounet, qui espère voir de nouveaux guides frapper aux portes des clubs à la rentrée : "Mais ça, ça dépendra des performances de nos para-athlètes..."