Après la gabegie, l'orgie. Le XV de France a inscrit autant d'essais (cinq) face au pays de Galles, dimanche 10 mars, que sur l'ensemble de son Tournoi jusqu'ici. Les grincheux diront que c'était contre l'équipe la plus faible de cette édition, et ils auront peut-être raison. Il n'empêche. Les Bleus reviennent de trop loin, et de prestations si ternes, qu'il serait inconsidéré de bouder notre plaisir.
D'autant que, par la magie d'une 4e journée complètement folle, les hommes de Fabien Galthié sont mathématiquement toujours en course pour remporter le Tournoi. Si cela relève de la chimère vu le classement actuel, un succès dans le Crunch, samedi 16 mars, permettrait d'entériner pour de bon cette joie retrouvée face au XV du Poireau.
Ce que l'on a aimé
Des plans séquences sans coupure
Dans la foulée des deux matchs hitchcockiens de samedi, Gallois et Français se sont mis au diapason. Tout n'était pas parfait, loin de là, mais, puisque l'erreur appelle le jeu, ils ont décliné cette vérité jusqu'à satiété. Les Bleus, forts de leur supériorité assez écrasante devant, et surtout en mêlée fermée, en ont profité pour retrouver quelques lancements de jeu que l'on pensait restés bloqués à l'ère pré-quart de finale de Coupe du monde, quand les Gallois, toujours aussi imprévisibles, ont riposté par des fulgurances bravaches. Résultat, un chassé-croisé au score digne d'une autoroute française un 31 juillet et des séquences de jeu sans fin, à peine interrompues par de très rares fautes d'indiscipline. A ce titre, les hommes de Fabien Galthié, les plus pénalisés depuis le début du Tournoi, méritent une médaille (seulement trois pénalités concédées).
Un moment charnière
L'association en charnière de Nolann Le Garrec et Thomas Ramos avait fait lever quelques sourcils. Ces derniers se sont transformés en mimiques d'admiration, souvent, devant la démonstration du duo. Malgré la pression et l'inexpérience, les deux hommes ont fait preuve d'une complémentarité bluffante. Et surtout, ils ont osé. Ils ont mis du rythme, ils ont accéléré le jeu. Avec du déchet, certes, mais au moins, ils n'ont pas joué les gestionnaires aux petits bras. Outre sa sûreté habituelle face aux perches, Thomas Ramos a ainsi parfaitement distribué, se permettant notamment quelques merveilles de passes redoublées (sur l'essai de Gaël Fickou) ou même sautées.
Mais puisque l'on parle de passes, que dire de cette chistera de Nolann Le Garrec ? Aussi belle qu'efficace et promise au panthéon des réseaux sociaux. Au-delà de cette friandise, le nouveau demi de mêlée aura également brillé par ses libérations rapides et son flair, comme sur son essai digne d'un certain Antoine D.
Des supporters, des vrais
Pas la peine d'ergoter sur les chants gallois, omniprésents et toujours aussi prompts à donner la chair de poule. Mais on peut aussi, ici, souligner la ferveur des fans tricolores présents à Cardiff. En infériorité numérique, ils sont pourtant parvenus à faire entendre le coq comme rarement à l'extérieur ces derniers temps. Malgré les temps sombres que traverse le XV de France depuis la fin de la Coupe du monde, les supporters n'ont pas tourné le dos à leur équipe et chaque incursion des partenaires de Charles Ollivon dans la défense galloise a été portée par des voix vibrantes. C'est ce qui s'appelle la passion. Inconditionnelle.
Ce que l'on n'a pas aimé
Les courants d'air en défense
On a coutume de dépeindre le pays de Galles avec de grandes plaines sauvages, battues par les vents. L'air du pays a semblé inspirer la défense des Bleus, surtout en première période, quand, sur les deux premiers essais gallois, elle a laissé des étendues immenses derrière elle. Rio Dyer (6e) et Tomos Williams (25e) s'y sont engouffrés sans aucune opposition. Vouloir emballer le jeu, c'est bien, mettre quelques barbelés, notamment au sortir des regroupements, cela peut également servir.
Un réalisme à parfaire
C'est, au final, ce qui aura le plus manqué aux Bleus dimanche. On ne peut pas dominer autant un adversaire en conquête sans parvenir à le décrocher au tableau d'affichage. On ne peut pas le surclasser dans l'avancée (526 mètres contre 361), dans la possession (56%) ou dans l'occupation (66%) et avoir à trembler ainsi. Mais les mains, dans les moments cruciaux, sont encore moites, et il y a encore une dernière passe mal assurée ou un ballon mal contrôlé, pour empêcher de danser en rond. Si les Bleus parviennent à souffler sur ces scories comme en fin de match, le volcan endormi finira peut-être par, définitivement, se réveiller.