Pour Handré Pollard, ce samedi 28 octobre aurait dû être un jour ordinaire. Après un match en début d'après-midi avec son club de Leicester à Bath, l'ouvreur sud-africain aurait tranquillement assisté à la finale de la Coupe du monde, sans nulle autre pression que celle du choix des pizzas à déguster devant le combat des titans. L'ouvreur, non retenu pour la compétition à cause de ce satané mollet douloureux depuis un an, aurait certainement paru irrité à l'idée de ne pas influer sur la soirée depuis son canapé.
Fort heureusement pour ses nerfs, son destin en a décidé autrement. Jusqu'à faire de Pollard, rappelé au pied levé en cours de compétition, le héros de la finale remportée contre la Nouvelle-Zélande (12-11) en inscrivant tous les points. La conclusion d'une phase finale de rêve, lors de laquelle son pied droit n'a jamais tremblé.
Cette résurrection au dénouement si parfait qu'elle a tout d'un biopic caricatural démarre le 17 septembre dernier. Rassie Erasmus et Jacques Nienaber, le duo de savants fous à la tête des Springboks, doit trouver un remplaçant au talonneur Malcolm Marx, blessé contre l'Ecosse (18-3). Plutôt que de trouver un autre spécialiste de ce poste stratégique, le tandem fait appel au revenant Pollard.
Un temps de jeu croissant au fil du Mondial
Le pari est doublement risqué. Non seulement l'Afrique du Sud termine la compétition avec Bongi Mbonambi comme seul talonneur de métier, mais elle mise en plus sur un joueur à court de rythme, avec pour seule référence récente une vingtaine de minutes jouées en septembre dans le championnat anglais. "C'est un joueur de grande qualité, mais il n'a pas joué avec les Boks depuis août 2022", prévenait alors Jacques Nienaber. Mais même en méforme physique, Handré Pollard a l'immense avantage de bien buter. La fébrilité de l'autre ouvreur Manie Libbok, entraperçue face à l'Ecosse puis préjudiciable contre l'Irlande (8-13), est dans toutes les têtes.
La répartition entre les deux 10 est alors claire : le rafraîchissant Libbok, friand d'espaces, débute et le roublard Pollard termine. Contre la France en quarts (29-28), l'ouvreur passé par Montpellier marque cinq points, dont la pénalité décisive à plus de 50 mètres. L'Afrique du Sud a alors trouvé le chaînon manquant de son organisation, capable de bonifier la domination de ses avants. Face à l'Angleterre en demie (16-15), il est même missionné dès la 31e dans son registre préféré, sous une pluie battante et avec la certitude que la décision se fera au pied.
Son heure vient à la 78e, sur une pénalité longue distance. Handré Pollard s'exécute en détente, imperméable à la moindre distraction ou aux sifflets du Stade de France. "Il a un courage incroyable, il gère parfaitement la pression", a salué son coéquipier Steven Kitshoff. Même particulièrement cruelle pour son concurrent Manie Libbok, sa titularisation dans une finale disputée sous la pluie n'a surpris personne.
Pollard roi des thrillers
Alors Handré Pollard s'est saisi du cadeau et l'a déballé devant les caméras du monde entier. Comme il l'avait déjà fait il y a quatre ans à Tokyo en finale contre l'Angleterre, avec 22 points assurés. Sous une pression maximale, il a agi comme s'il s'agissait d'un entraînement et transformé sans sourciller ses quatre tentatives de but, dont une à 50 mètres (19e). Les apôtres d'un jeu pétillant regretteront sa trop grande sobriété, mais de tels éclats n'étaient pas permis au milieu de la "physicalité" des Springboks.
Perfectible offensivement, très suffisant défensivement (8 plaquages réussis sur 17) et marqué par le combat au point de finir la pommette en sang, Handré Pollard s'est focalisé sur les perches, là où l'on l'attendait et où se situe l'essentiel dans un match aussi serré. Là où, probablement, la différence s'est faite, puisque la Nouvelle-Zélande a égaré cinq points, par Richie Mo'unga (transformation à la 59e) puis Jordie Barrett (pénalité à la 73e). Les All Blacks pourront aussi regretter d'être allés plusieurs fois en touche sur des pénalités abordables. Avec un buteur de la trempe d'Handré Pollard, leur choix stratégique aurait sans doute été différent.