Un capitaine en sanglots pour une invraisemblable guigne. La légende du rugby irlandais Johnny Sexton était inconsolable, samedi 14 octobre, sur le bord de la pelouse du Stade de France. Son XV du Trèfle est tombé face à la Nouvelle-Zélande (28-24) en quarts de finale de la Coupe du monde. Une fois de plus. L'une des plus grandes nations de ce sport voit la porte du dernier carré se refermer sur ses doigts pour la huitième fois en dix éditions, dont quatre pour le seul Sexton. Cette terrible malédiction se poursuit, et elle n'a peut-être jamais fait aussi mal aux crânes irlandais.
Le XV du Trèfle s'était autorisé à voir très grand. L'équipe du sélectionneur Andy Farrell abordait le Mondial avec un statut nouveau, celui de l'équipe à faire tomber. Numéros un mondiaux, et à un succès d'égaler le record historique de victoires consécutives pour une sélection (18), les coéquipiers de Johnny Sexton s'étaient imposés comme les favoris de la compétition. Ils étaient même plus légitimes que jamais après avoir fait tomber le tenant du titre, l'Afrique du Sud, en phase de poules au terme d'une première lutte de très haute volée.
Le traumatisme de 1991, la désillusion de 2023
Mais la malédiction est décidément tenace, comme inscrite dans les gènes du rugby irlandais. Dès 1987, l'édition inaugurale, l'Irlande s'est cassé les dents sur ce rendez-vous des quarts de finale. Il y a 36 ans, elle n'était pas encore un géant d'Europe, encore moins planétaire. Le traumatisme originel de cet obstacle des quarts est intervenu quatre ans plus tard, en 1991. Face à son public, le XV du Trèfle est passé à cinq minutes de prendre sa revanche sur l'Australie, dans un match entre les Wallabies et le peuple irlandais tout entier. Gordon Hamilton pensait donner la victoire aux siens provoquant l'envahissement du terrain, avant que Michael Lynagh ne crucifie les Verts à la 79e minute.
Un coach mental à la rescousse
Six autres défaites sont désormais venues s'ajouter - deux contre le XV de France - dont quelques roustes cuisantes. Comme celle lors de la précédente édition en 2019, déjà contre la Nouvelle-Zélande (46-14), placée sur la route irlandaise à cause d'une défaite en phase de poules contre le Japon qui ne prédisait alors rien de bon. Tout l'inverse de cette Coupe du monde 2023, celle de tous les espoirs.
"Nous avons travaillé sur notre mental lors des quatre dernières années, et nous nous sommes essayés à différents scénarios pour nous préparer à cela", assurait Sexton en conférence de presse mercredi. "Autour de nous, cela a été un sujet, que nous n'ayons jamais atteint les demi-finales, admettait un autre vétéran de l'effectif, le demi de mêlée Conor Murray. Mais au sein du groupe, c'est une équipe différente et nos capacités sont différentes." Comme l'écrivait l'Irish Times, quasi prophétique dans son édition de ce samedi matin [article en anglais], les joueurs irlandais n'avaient au Stade de France "aucun démon à conquérir, à part les nôtres", ceux de toute une nation derrière son XV.
"Arriver à ce stade, cela vaudrait plus que tout, poursuivait Murray. Ce week-end est le plus gros match que je n'ai jamais joué, et c'est la même chose pour tout le monde dans ce groupe. Se qualifier serait un moment énorme, une étape énorme." Pour gravir la montagne, l'Irlande s'était adjoint les services d'un coach mental, Gary Keegan, qui avait emmené la boxe irlandaise à trois médailles lors des JO 2008, les seules glanées par des athlètes du pays à Pékin.
Contre la Nouvelle-Zélande, les Irlandais auront davantage reçu les coups qu'ils ne les auront donnés (aucun avantage au score en 80 minutes), même s'ils y ont cru jusqu'à la cloche et cette dernière action dantesque de 37 phases de jeu et plus de cinq minutes. Pour sa possible dernière sélection, les larmes de Johnny Sexton sont celles des regrets éternels. Et avec lui, ceux de toute l'ovalie irlandaise : "le rêve est mort à Paris", regrette l'Irish Times.