Pour la troisième fois de son histoire, l'Argentine n'est plus qu'à un match de disputer sa première finale de Coupe du monde, vendredi 20 octobre, en défiant en demi-finale la Nouvelle-Zélande (21 heures). Un statut demi-finaliste encore une fois surprise pour les Pumas.
Dans une Argentine à l'écrasante majorité catholique (92%), la scène revêt déjà une dimension mystique. En propulsant Louis Rees-Zammit en touche dans les dernières minutes du quart de finale contre le pays de Galles (29-17) samedi à Marseille, Matias Moroni a réussi bien plus qu'un plaquage. Le centre a ravivé pour de bon cet orgullo argentino chez des supporters déchaînés mais jusqu'alors frustrés par la pâle teneur de cette Coupe du monde. Cinq semaines après y avoir péché contre les Anglais (10-27), le Vélodrome est devenu une terre de rédemption pour les Pumas. Certains comparent même cette action au sauvetage salvateur du portier "Dibu" Martinez devant Randal Kolo Muani, en finale du Mondial de foot.
"Le rugby n'est pas injuste, il nous a offert une nouvelle chance à Marseille", illustrait peu après l'arrière Juan Cruz Mallia. Voici les Argentins remis sur le droit chemin, celui d'une troisième demi-finale dans leur histoire (après 2007 et 2015), tout de même encombré d'un obstacle difficilement surmontable. Sortie d'un match de titans contre l'Irlande (28-24), la Nouvelle-Zélande ressemble à un mastodonte dont la montée en puissance amenuise les chances argentines. Même si le sélectionneur Michael Cheika martèle sa hantise de s'arrêter en demi-finales, la réalité est sans doute plus nuancée.
"¡Vamos a Paris!"
Le cri de ralliement "¡Vamos a Paris!" a en effet été entendu plus d'une fois dans les travées du Vélodrome, comme s'il s'agissait d'une finalité. Comprenez, l'Argentine a enfin gagné le droit de se produire au Stade de France, et le reste importe peu. Jusque-là, les Pumas ont navigué entre Marseille, Saint-Etienne et Nantes, et cette tournée des enceintes mythiques du football français a longtemps paru pénible. Elle a démarré par une bouillie de rugby face à une Angleterre aux abois avant la partie et réduite à 14 dès l'entame. Moroses, dominés à l'impact et incapables de tenir le ballon sur plusieurs temps de jeu, les Argentins paraissaient au fond du trou. Ils s'en sont méthodiquement extirpés, de sorte à "redorer le blason", des dires du troisième ligne Facundo Isa.
"Il n'y a pas eu de changement radical, on tire juste les leçons après chaque match", a convenu Michael Cheika samedi. Ce fut à peine plus rassurant contre des Samoans encore plus brouillons (19-10 le 22 septembre), logiquement mieux contre des Chiliens trop justes (59-5 le 30 septembre), imparfait mais captivant face au Japon (39-27 le 8 octobre) puis très consistant contre le pays de Galles. "Mes joueurs ont beaucoup appris des matchs précédents, on savait que tout pouvait basculer sur une rencontre", a poursuivi Michael Cheika.
Son équipe n'a eu de cesse de dépeindre les matchs post-Angleterre comme des "finales" et, dans les faits, cette configuration de matchs couperets sied mieux à cette Argentine. Davantage préoccupée par le résultat que par l'esthétique, celle-ci ne flambe pas toujours mais dispose d'atouts jusque-là gagnants. "On sait que ce n'est pas parfait, mais rien n'est parfait dans la vie, philosophe le talonneur et capitaine Julian Montoya. Ce qui compte, c'est la façon [...] dont on se bat les uns pour les autres".
Tombés dans la bonne partie de tableau
Et dans ces phases au près, les progrès sont notables. Depuis les 13 pénalités concédées contre les Anglais, le compteur baisse continuellement et a atteint son niveau de croisière, avec sept fautes lors des deux derniers matchs. Un seul de leurs 48 derniers lancers en touche n'a pas trouvé preneur, et la pire mêlée des huit quarts-de-finalistes (80% en poules) n'a jamais été mise à revers par des Gallois d'ordinaire rudes dans le secteur.
La place des Argentins parmi les quatre meilleures nations de ce Mondial tient pour partie du hasard du tirage au sort. Placés dans la "bonne" moitié de tableau, ceux-ci n'ont rencontré aucun des quatre mastodontes (Irlande, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, France) avant les demies. Celle-ci ne reflète en tout cas ni le classement World Rugby, où l'Argentine est huitième ni la pente descendante des dernières années, marquées par la disparition de la franchise des Jaguares en Super Rugby ou les deux victoires en dix matchs avant le Mondial.
Les Pumas préfèrent convoquer un souvenir à peine plus ancien, puisque l'élimination au premier tour en 2019 ne les a pas empêchés de battre deux fois les All Blacks, en 2020 (25-15) et en 2022 (25-18). Les Néo-Zélandais ont certes bien changé – et collé deux gifles, 53-3 et 41-12 aux Argentins – entre-temps, mais ces derniers ont gommé, avec ces exploits, leurs complexes face aux hommes en noir, jamais battus en 29 confrontations préalables. Surtout, ils disposeront de cette marée bleu et blanc pour faire grimper les décibels autour de Saint-Denis.
"On se serait crus dans un stade de foot, c'était immense", relevait l'ailier gallois Josh Adams après le quart à Marseille. Avec un Stade de France revisité en Bombonera, les Pumas peuvent s'accrocher à leur infime espoir.