Back in black. On ne sait pas si Joe Schmidt est fan de cette chanson des voisins australiens d'AC/DC, mais le fait est que l'entraîneur est bel et bien de retour au pays, en Nouvelle-Zélande. Le natif de Woodville est l'homme qui se cache derrière le renouveau des All Blacks, qui disputent, vendredi 20 octobre, une place en finale de Coupe du monde contre l'Argentine. Plongés pendant de longs mois dans un coma qui n'avait rien d'artificiel, les hommes en noir semblaient avoir fait le deuil de leurs ambitions. Il leur fallait un électrochoc. Celui qui a su manier le défibrillateur s'appelle Joe Schmidt.
Juillet 2022. Les Blacks de Ian Foster viennent d'enchaîner quatre défaites en deux mois, après avoir également subi la défaite la plus large de leur histoire (40-25) contre le XV de France en novembre 2021. La fédération néo-zélandaise de rugby s'apprête à appuyer sur le bouton du siège éjectable de son sélectionneur. Quand, dans un réflexe de survie, elle a alors l'idée d'adjoindre à Foster un homme du pays, mais exilé depuis des années en Europe. Un homme dont la réputation de faiseur de miracles a franchi les océans jusqu'à l'Ile du Long Nuage Blanc. Joe Schmidt, comblé de succès sur le Vieux Continent mais qui rêve de rentrer chez lui, accepte la proposition.
Un scientifique au chevet
Avec ce choix, la fédération n'a pas fait celui du glamour. Le discret Schmidt, qui a notamment pour mission de s'occuper des lignes arrières, succède à la légende Grant Fox. Mais le charismatique ex ouvreur des champions du monde 1987, malgré toute son expérience, s'est montré impuissant à sortir les siens du trou noir. Au-delà des résultats irréguliers, c'est surtout le fond de jeu qui inquiète alors. Celui qui a fait leur renommée mondiale s'est largement étiolé et les Néo-Zélandais n'inspirent plus ce mélange de crainte et d'admiration dans les yeux de leurs adversaires.
Patiemment, méthodiquement, Joe Schmidt va refaçonner leur identité. Véritable logiciel humain, obsédé maladif du détail, il élabore des lancements de jeu qui remettent progressivement les Blacks sur les rails. Pas de concepts révolutionnaires mais une science du jeu sans égal. "Si tu l'appelles et que tu lui parles d'un match que tu as vu, il l'a vu aussi. Il a une mémoire photographique exceptionnelle", décrypte dans les colonnes du Monde [article payant], l'icône irlandaise Brian O'Driscoll, qui a servi sous ses ordres.
La Coupe du monde en France montre que Schmidt est dans le vrai. Après une défaite initiale contre les Bleus, où les hommes en Noir avaient déjà affiché quelques belles séquences, ces derniers n'ont cessé de gagner en efficacité et en confiance. Quelques galops d'essai(s) pour peaufiner les réglages du mécanicien Schmidt contre la Namibie (71-13), l'Italie (96-17) et l'Uruguay (73-0) pour, finalement, parvenir jusqu'au chef d'œuvre des quarts de finale contre l'Irlande. Cette dernière était pourtant prévenue mais, à l'image de Johnny Sexton espérant partager une bière à la fin du match, elle ne garde que des bons souvenirs de l'entraîneur néo-zélandais. Et pour cause puisqu'il en fut le sélectionneur de 2013 à 2019.
Quand il débarque sur l'Ile d'émeraude il est déjà précédé d'une réputation flatteuse, celle de remettre à flots des équipes brinquebalantes. Ce fut d'abord le cas à Clermont-Ferrand où, associé à Vern Cotter, il conduit les Auvergnats à leur premier titre de champions de France, après 10 finales perdues en Top 14. "Il était très minutieux, rapporte Julien Malzieu, ex trois-quart aile de l'ASM, dansOuest-France [article payant]. On avait à cœur de bien faire car il nous apportait des nouvelles choses en permanence. On s'est régalé. C'était le premier à nous encourager, mais il savait aussi nous taper sur les doigts."
Roi du Trèfle mais noir de cœur
Puis, les trois années suivantes, il prend en main la province irlandaise du Leinster avec qui il va décrocher deux sacres européens en trois ans. Forcément, le XV du Trèfle ne peut pas rester insensible à de tels prodiges. Cela tombe bien puisque la sélection est en complète déliquescence à cette époque, elle qui vient de terminer avant-dernière du Tournoi des six nations. La magie, pourtant, va tout de suite opérer. Sous sa coupe, le Trèfle reverdit instantanément et remporte coup sur coup les deux éditions suivantes, signe deux exploits historiques (une première victoire contre la Nouvelle-Zélande en 2016 et l'accession à la place de numéro 1 mondial au classement IRB en 2019) sans oublier l'apothéose du Grand Chelem en 2018.
Si l'aventure en vert s'est achevée brutalement en quart de finale de la Coupe du monde 2019 contre... la Nouvelle-Zélande, Joe Schmidt aura marqué durablement les joueurs passés sous ses ordres. "Je pensais qu'il était un peu trop gentil pour être notre entraîneur. En fait, il est l'homme le plus impitoyable que j'aie jamais rencontré en ce qui concerne la préparation", reprend Johnny Sexton dans Le Monde. Analyse copie carbone de la part du mythique trois-quart aile néo-zélandais Joe Rokocoko dans Midi Olympique : "C'est un scientifique du rugby. Il est incroyablement intelligent, mais demande une réelle perfection technique de la part de ses joueurs. Certains y arrivent, d'autres non…"
A 58 ans, celui qui a redonné vie à la Fougère d'Argent est en passe de réussir son pari : ramener son peuple sur le toit du monde et décrocher un quatrième sacre mondial. Il est déjà, selon le troisième ligne néo-zélandais Dalton Papali'i dans l'Irish Times [article en anglais], "l'un des GOAT du coaching mondial". Dans ce même article, son compatriote, l'ailier Mark Telea, se veut à la fois railleur et admiratif : "Si vous parlez avec lui, il en sait probablement plus sur vous que vous-même".