Déjà, c’est quoi un pesticide ?
Un pesticide est un produit dangereux pour la santé d’organismes vivants (champignons, mauvaises herbes, insectes, etc) et dont certains sont employés pour protéger les cultures.
La réglementation européenne distingue 2 catégories de pesticides : les biocides (des produits ménagers utilisés pour tuer certains organismes vivants "nuisibles", et les produits phytosanitaires. Ces derniers sont utilisés pour protéger les plantes cultivées des maladies, des virus, des insectes et des mauvaises herbes qui pourraient nuire ou retarder sa croissance.
La famille des phytosanitaires comprend elle-même 2 sous-catégories : les produits naturels et les produits de synthèse chimiques. Les produits de synthèse chimique sont interdits, mais les produits naturels (comme le cuivre) sont autorisés en agriculture biologique.
Qui autorise l’utilisation d’un pesticide ?
Avant qu’un pesticide se retrouve entre les mains des agriculteurs il existe tout un processus qui consiste à vérifier si le produit n’est pas dangereux pour la santé et l’environnement.
Comme le rappelle Benoît Grimonprez, enseignant chercheur en droit de l'agroécologie, il existe 2 types d’encadrement avant la mise en vente d’un pesticide :
- L’évaluation de son efficacité mais aussi (et surtout) de ses risques pour la santé humaine et l’environnement
- Ses règles d’utilisation (par exemple, certains produits ne sont applicables que sur certain type de plante, à certaines doses, dans tel lieu, etc...)
La plupart des produits ne sont autorisés que pour une durée temporaire (en principe 10 ans). L'EFSA (pour l'analyse de la substance active) ou l'ANSES (pour le pesticide en lui-même) mènent ensuite des études pour ré-autoriser, ou non, leur mise en vente sur le marché. Il existe aussi d’autre procédures un peu plus exceptionnelles : dans le cas où un pesticide est autorisé à la vente mais que des alertes scientifiques incitent les agences sanitaires à mener l’enquête, celles-ci vont collecter des données puis transmettre leur avis à la Commission européenne afin d'interdire, ou non, le produit.
C’est le cas du glyphosate. Cet herbicide, un des pesticides les plus commercialisés dans le monde mais aussi un des plus controversés, est classé depuis 2015 comme "cancérogène probable". Cette décision est contestée par l’EFSA. En 2017, l’Union Européenne valide son utilisation jusqu’à fin 2022. Une évaluation indépendante publiée en 2021 a révélé que, pour évaluer la dangerosité du glyphosate, les agences s’étaient basées sur des études fournies par les industriels (pas ouf niveau indépendance). En 2023, l’interdiction du glyphosate a été repoussée d’un an.
Quel est l'impact environnemental des pesticides ?
Une fois ces produits pulvérisés, leurs substances actives peuvent se décomposer en résidus qui contaminent ensuite l’eau, l’air et le sol.
Pollution de l’eau
On peut en trouver dans l’eau du robinet, les nappes phréatiques, les cours d’eau… Entre 2018 et en 2020, en France métropolitaine, quasiment la moitié des stations de mesure de la qualité de l’eau enregistrent de "fortes" pressions toxiques dues aux pesticides (donc un risque de toxicité élevée pour les écosystèmes).
Pollution des sols
Certains pesticides contaminent les sols sur lesquels ils sont épandus, ce qui provoque des pollutions sur le long terme.
En France métropolitaine, le lindane par exemple, toxique pour l’environnement et pour l’Homme, a été utilisé pendant 50 comme insecticide avant d’être interdit en 1998. Il peut mettre jusqu’à plus de 40 ans à se dégrader dans le sol…
Aux Antilles, le chlordécone, un pesticide autorisé jusqu’en 1993 avant d’être interdit, reste encore très présent dans le sol : 1/4 de la surface agricole utilisée en Guadeloupe et 2/5 de la surface agricole utilisée en Martinique. Il est considéré comme un perturbateur endocrinien qui augmente le risque de développer un cancer de la prostate.
Pollution de l’air
Une étude co-menée par l’ANSES a évalué la présence de 75 pesticides dans l’air, aussi bien à la campagne qu’en ville. Résultat : sur cette base de 75 substances, 70 ont été retrouvées au moins une fois dans l’air ambiant, dont certaines sont pourtant censées être interdites (coucou le lindane dont on te parle juste au-dessus).
Risques pour la biodiversité
La plupart des pesticides ne sont pas sélectifs, c'est-à-dire qu'ils ne font pas la différence entre le "bon" et le "mauvais" insecte/plante/champignon. Ils s’attaquent à tout ce qui bouge, ce qui a des effets délétères sur la biodiversité. Les organophosphorés ont des effets neurotoxiques sur les vertébrés et les pyréthrinoïdes sont très toxiques pour les animaux aquatiques par exemple.
Les insectes attaqués par les pesticides servent de nourriture à d’autres animaux, comme les oiseaux ou les batraciens. Une étude de 2018 montre que la France a perdu 1/3 de ses populations d’oiseaux en milieu agricole en une quinzaine d’années seulement. Parmi les responsables : les pesticides. "Il n'y a pratiquement plus d'insectes, et c'est là le nœud du problème", explique Vincent Bretagnolle, écologue et directeur de l'espace Plaines et Vallées de la Sèvre où a été réalisée l’étude.
Les insectes pollinisateurs, essentiels pour la reproduction des plantes, sont très touchés par les pesticides.
Pour aller plus loin, on découvre le film "On a 20 ans pour changer le Monde". Des hommes et des femmes relèvent le défi et démontrent que l'on peut se passer des pesticides et des intrants chimiques pour toute notre alimentation.
Et quel impact sur la santé humaine ?
Selon des récentes conclusions de l’Inserm, l’exposition directe aux pesticides augmente le risque de développer 6 pathologies : lymphomes non hodgkiniens, myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique.
Il y aurait aussi un lien avec d’autres problèmes de santé, comme la maladie d’Alzheimer, certains cancers ou encore l’asthme. Une femme enceinte exposée directement aux pesticides pendant sa grossesse a plus de risque d’avoir un enfant qui développe ensuite certains cancers (leucémies…).
Les plus exposé·es sont, sans surprise… les agriculteurs, qui travaillent au contact de ces produits. Les maladies citées plus haut sont d’ailleurs reconnues comme des maladies professionnelles, avec "quelques centaines de cas en lien avec les pesticides sont déclarés chaque année", précise Jean-Noël Jouzel, directeur de Recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po.
En 2004, après avoir respiré le produit Lasso, l’agriculteur charentais Paul François doit être hospitalisé. Il souffre encore aujourd’hui de plusieurs symptômes : crise d’épilepsie, troubles de la mémoire et de l’équilibre… Il attaque en justice Monsanto, qui commercialise le produit, et obtient gain de cause : le groupe est reconnu responsable d’avoir commercialisé des produits défectueux et de ne pas avoir signalé le danger d’utiliser le produit en travaillant dans des cuves. Lasso est interdit en 2007. Paul François devrait, lui, toucher environ 11 000 d'euros d’indemnités.
Pour Jean-Noël Jouzel, on assiste à "une prise de conscience". "Aujourd’hui les agriculteurs ont davantage conscience que ces produits sont des poisons, et que la mise sur le marché de pesticides ne veut pas dire qu’ils sont OK pour la santé."
En plus des agriculteurs, l’ensemble de la population est aussi exposée, bien que moins directement, aux pesticides : les personnes vivant à côté de zones d’épandages, celles qui respirent de l’air, consomment de l’eau et de la nourriture contenant des résidus… Une étude européenne menée sur 12 catégories de produits en 2020 a révélé que 68,5% des aliments testés ne contenaient aucune trace de pesticide, et 1,7% contenaient des quantités de pesticides supérieures au maximum légal.
"C’est difficile de savoir si l’exposition aux pesticides a un impact sur la santé des consommateurs ou des riverains, explique Jean-Noël Jouzel. Les effets sont moins connus que pour les agriculteurs, et il peut se passer un moment assez long entre une exposition aet l’apparition d’une pathologie, donc c’est plus difficile d’établir un lien cause-effet." Mais, rappelle-t-il, "ce n’est pas parce que ce lien est plus compliqué à établir qu’il n’existe pas !"
Qu'est-ce que l’effet cocktail ?
L’effet cocktail désigne l’effet que peuvent avoir plusieurs produits utilisés en même temps sur la même zone (plutôt que regarder leur impact au cas par cas), afin de mieux prendre en compte les interactions entre eux. Logique : on utilise rarement un seul pesticide à la fois, mais plutôt à plein de produits différents.
"L’association de plusieurs molécules peut avoir des effets importants sur la santé, reconnaît Benoît Grimonprez. Aujourd’hui il n’y a pas d’étude exhaustive sur le sujet concernant les pesticides."
Une étude de 2018 de l’INRAE menées sur des souris exposées à un cocktail de 6 pesticides via leur alimentation a démontré que les animaux développent différents troubles : diabète et surpoids chez les mâles, troubles du foie et du microbiote intestinal chez les femelles.
Malgré ces risques, les produits continuent d'être utilisés. Selon Benoît Grimonprez, les autorités ont fixé une "ligne de l’inacceptable" concernant l’impact des pesticides, autrement dit un seuil d’effets sur la planète, les êtres vivants, en dessous-duquel le risque est considéré comme acceptable, bien que non-nul.
Comment réduire l’impact des pesticides ?
Réduire leur utilisation
En France, le plan Ecophyto II+ lancé en 2018 impose de réduire de moitié la quantité de pesticides utilisés d’ici 2025 et de sortir totalement du glyphosate d’ici 2022. Depuis, les autorités ont fait marche arrière, et le glyphosate reste autorisé en agriculture. Les précédents plans lancés de 2007 à 2018, n'avaient pas rencontré un franc succès : malgré les milliards d’euros mobilisés, l’usage des pesticides avait augmenté de 15% sur leur durée.
L’utilisation de pesticides chimiques dans les jardins privés et les espaces verts publics est en revanche interdite depuis 2017. L'interdiction sera étendue en 2025 aux terrains de golf et aux hippodromes.
Les remplacer
L’existence (ou non) d’une alternative à un pesticide est un des critères qui est regardé au moment de décider de l’interdire. Il sera plus facilement ré-autorisé/il y aura plus facilement des dérogations s’il n’existe pas d’alternative aussi efficace et rentable. C’est justement le point bloquant concernant les néonicotinoïdes : l’ANSES a identifié 22 alternatives mais des agriculteurs ne les trouvent pas suffisamment efficaces, ou trop chères.
S’en passer totalement ?
Il est compliqué, voire impossible, d’arrêter d'utiliser des pesticides du jour au lendemain, pour la simple et bonne raison que la production agricole moderne repose en grande partie dessus. "Les produits phytosanitaires sont autorisés depuis les années 40 et sont rentrés dans la composition de milliers de produits commercialisés, explique Jean-Noël Jouzel. Si on attend d’avoir des certitudes absolues sur les pesticides avant de prendre une décision, rien ne va se passer. Il faut décider en incertitude."
Techniquement, une agriculture quasi sans produits phytosanitaires pourrait exister. Des études (comme celle de l’Iddri ou celle du CNRS) ont montré que c’était possible… à condition de changer dès maintenant de modèle agricole.