Émission du mercredi 12 février 2020
Le Pitch - Cinéma- 1 min 59 s
- tous publics
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LA FILLE AU BRACELET de Stéphane Demoustier
Avec Melissa Guers, Anaïs Demoustier, Roschdy Zem et Chiara Mastroianni
Lise, 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d'avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet car elle est accusée d'avoir assassiné sa meilleure amie.
« La Fille au bracelet » est inspiré de l'histoire d’ « Acusada », un film argentin sorti en France en juillet 2019. C'est par le biais du producteur Jean Des Forêts que le réalisateur Stéphane Demoustier a découvert le scénario et a décidé de traiter cette intrigue sous un nouvel angle, en s'intéressant non pas à l'accusée mais aux personnes qui l'entourent.
À travers l'autopsie clinique d’un procès, Stéphane Demoustier a voulu aborder les moeurs de la jeunesse d’aujourd’hui sans la juger. Or, dans une affaire judiciaire, tout est exacerbé et le procès agit donc comme un miroir grossissant des rapports intergénérationnels. Le cinéaste explique : « L’héroïne représente l’altérité absolue pour moi puisque c’est une femme et une adolescente. C’est pourquoi j’ai construit le scénario autour du mystère que représente à mes yeux cette jeune femme. C’est bien sûr ce qui m’intéressait. A travers ce portrait en creux, je voulais parler de la famille. J’ai trois enfants, beaucoup plus jeunes que mon héroïne, mais j’ai remarqué que très vite la question de l’altérité se posait. A qui a-t-on affaire ? On a toujours l’impression de connaître ses enfants mais l’évidence apparaît inéluctablement : ce sont des êtres autonomes qui nous échappent de plus en plus. »
Melissa Guers, qui pour l'occasion fait ses premiers pas au cinéma, incarne le personnage principal. La comédienne avait répondu à une annonce postée sur Facebook par Stéphane Demoustier, qui cherchait une jeune fille qui n’avait jamais tourné. Le réalisateur justifie son choix : « C’est la seule qui, dès le début, supportait les silences. Elle avait une intensité qui détonait. Sa personnalité allait enrichir le personnage. Cette impression ne s’est jamais démentie. Elle avait l’instinct du jeu et nous l’avons vue devenir actrice au fil du tournage. Au début, elle était totalement consumée par le rôle, au point de ne plus en dormir. Petit à petit, à force d’observer ses partenaires, elle a compris qu’il y avait une distance à tenir et que cela n’empêchait pas la vérité de son interprétation. Elle est devenue très proche de l’actrice qui jouait de son avocate, Annie Mercier, qui agissait pour elle comme une figure protectrice sur le tournage. »
Concernant le choix des parents incarnés par Roschdy Zem et Chiara Mastroianni, le cinéaste s’explique :« Je n’avais pas vraiment d’idée au moment de l’écriture. Je pensais à Chiara Mastroianni car j’aime beaucoup cette actrice et elle est finalement assez rare dans le cinéma français. Pour le personnage du père, je me suis dirigé vers Roschdy car je trouve qu’il a un statut à part dans le cinéma, une épaisseur. Le couple m’apparaissait comme une évidence et je n’avais pas l’impression de les avoir déjà vus jouer des rôles comparables à ceux des parents dans « La fille au bracelet ».
Stéphane Demoustier a confié le rôle du procureur à sa soeur, Anaïs Demoustier. Au début, le metteur en scène était parti sur un acteur d’une soixantaine d’années, qui en imposerait par son autorité et son expérience. Mais en allant assister à plusieurs procès au tribunal de Bobigny, il s'est aperçu que le procureur était très souvent une femme de trente ans. Il se rappelle : « Je me suis renseigné et j’ai appris qu’il y avait une crise de l’emploi de la magistrature et c’est pourquoi ils recouraient très fréquemment à des substituts du procureur qui sortaient de l’école. De fait, ces jeunes femmes sont souvent plus royalistes que le roi car elles doivent prouver qu’elles sont à leur place. Dès lors, j’ai reconsidéré le rôle et j’ai vu tous les avantages qu’il y avait à le confier à une jeune femme. Et comme on filme bien ceux que l’on aime, je me suis tourné vers Anaïs. Là aussi, je me suis autorisé à le faire car on ne l’avait jamais vue dans ce registre. »
Le président du tribunal est joué par un vrai avocat, Pascal-Pierre Garbarini. C’est la conseillère juridique qui travaillait sur le film qui a proposé cette idée à Stéphane Demoustier. Ce dernier confie : « Elle était sûre que ça l’intéresserait. Je l’ai rencontré, on s’est super bien entendu, et il s’est révélé d’une aide précieuse. Quand un comédien ou moi avions un doute sur le déroulement du procès ou l’attitude à adopter, il nous aiguillait. Il a été formidable. Sa personnalité irradiait et sa joie d’être là était communicative. C’est une rencontre qui m’a réjoui car c’est un homme qui est intelligent, sensible et généreux. »
Pour construire son récit, Stéphane Demoustier a passé du temps en cour d’assises pour assister à des procès (plus précisément au tribunal de Bobigny) et ainsi être certain de coller au maximum à la réalité. « Je ne voulais pas tomber dans une vérité documentaire, mais il m’importait que ce soit crédible. Le scénario fini, je l’ai d’ailleurs fait relire par des juges et des avocats », se souvient-il.
Stéphane Demoustier voulait tourner ailleurs qu'à Paris, dans une ville de taille moyenne : suffisamment grande pour que le principe de l’anonymat existe et mais suffisamment petite pour qu’une affaire de cet ordre ait un gros retentissement. Avec l'accord de la chancellerie (qui veille à ce l’image de la Justice ne soit pas rendue de manière dégradante ou fallacieuse), le cinéaste a obtenu l’autorisation du tribunal de Nantes. Stéphane Demoustier précise : « Le fait de tourner dans un vrai tribunal agissait nécessairement sur l’expérience du tournage, en particulier pour les acteurs. Le principe de réalité n’est pas le même. Les figurants dans le tribunal n’avaient pas lu le scénario, et ils découvraient donc le procès au fur et à mesure. L’audience était partagée sur la culpabilité de Lise. Certains changeaient d’avis en cours de route, c’était drôle. C’était bon signe également, car je voulais que cette incertitude demeure à l’écran. C’est un film sur l’interprétation des faits, sur le doute. »
MICKEY AND THE BEAR de Annabelle Attanasio
Avec Camila Morrone et James Badge Dale
Mickey Peck, une adolescente du Montana, a la lourde responsabilité de s'occuper de son père, un vétéran accro aux opiacés. Quand l'opportunité se présente de quitter pour de bon le foyer, elle fait face à un choix impossible...
« Mickey and the bear » est le premier long métrage de la réalisatrice
Le film parle d’une adolescente écrasée par la sensation que le monde avance sans elle. Un père vétéran usé par le syndrome post-traumatique. La petite Amérique de nulle part. Et comme une envie d’ailleurs, d’université, de nouvelles rencontres et d’horizons plus larges. N’aurait-on pas déjà vu ce film ? Oui. Et non. Car, comme toujours au cinéma - et dans toute discipline artistique - tout est dans le point de vue. Et celui d’Annabelle Attanasio trouve dans cette histoire que l’on croit rebattue une résonance toute singulière. De simples détails suffisent à « Mickey and the bear » pour se différencier - ici, l’adolescente ne prélève pas de l’argent dans le portefeuille de son père, elle en met en douce, par exemple.
Annabelle Attanasio réalise un premier film qui dresse un constat dramatique d’une certaine Amérique : le système de soins psychiatriques est totalement déficient, la protection de l’enfance apparaît comme le cadet des soucis de l’administration et le déterminisme social confine les gens à un avenir barré d’avance. Il y a beaucoup de désespérance dans le regard que pose la jeune réalisatrice sur son pays. Elle peuple son récit d’une myriade de personnages attachants et sincères, qui tranchent avec le constat amer de tout un pays, les États-Unis. Le spectateur ressent les vibrations sensibles des gens, qui parviennent néanmoins à illuminer la tristesse des lieux.
Collée à son héroïne Mickey, interprétée avec une assurance et une conviction folle par Camila Morrone, qui tient la dragée haute au monstre James Badge Dale, Attanasio évite les clichés de la chronique ado-féminine évanescente et tire le portrait d’une jeune femme décidée, concentrée, en acier trempé, mais tirée vers le bas par l’amour qu’elle porte aux hommes de son quotidien - son père et son petit copain. Prise pour acquise, se sentant obligée de s’occuper des malheurs de l’un et de satisfaire les besoins de l’autre, Mickey trimballe sa colère fatiguée dans chaque plan, insufflant au film une énergie douloureuse. Le film ne serait pas celui-là sans l’interprétation tout en nuance de Mickey par Camila Morrone. La comédienne habite son personnage de grâce et de profondeur. Elle ne cède jamais dans son jeu à l’excès ou le mélodrame. Les larmes, les cris sont rares malgré une violence des situations auxquelles l’adolescente est confrontée à maintes reprises. D’ailleurs, la réalisatrice prend toujours le soin de laisser au hors-champ la brutalité de certaines scènes, rajoutant à la pudeur et à la force émotionnelle du personnage. Mickey est en permanence écartelée entre ses désirs de s’émanciper de son père, la responsabilité qui lui incombe à l’égard de ce dernier, et l’amour que lui vouent les garçons.
Pourtant, la réalisation d’Attanasio ne lorgne vers aucune urgence visible et capte même l’environnement de Mickey - son mobile home, les paysages du Montana, la boutique de taxidermie où elle travaille, les petites rues de sa petite ville typique - avec un naturalisme apaisé, ne se permettant que de rares effusions de style - un néon par-ci, une couleur saturée par là. Reste que la cinéaste transmet à chaque image sa conviction et la rigueur de son regard en filmant la violence ou l’espoir toujours à la bonne distance, en refusant pour son récit les voies les plus évidentes ou déjà vues. Souvent surprenant mais sans frime, « Mickey and the bear » assoit sa personnalité sans le clamer, confronte avec dureté mais sans pathos excessif le quotidien de Mickey et ses désirs.
**BONUS**
TU MOURRAS À 20 ANS de Amjad Abu Alala
Avec Mustafa Shehata, Islam Mubarak et Bunna Khalid
Soudan, province d’Aljazira, de nos jours. Peu après la naissance de Mozamil, le chef religieux du village prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père de l'enfant ne peut pas supporter le poids cette malédiction et s'enfuit. Sakina élève alors seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Un jour, Mozamil a 19 ans....
A l'origine du sujet de « Tu mourras à 20 ans » se trouve une nouvelle d'un écrivain et activiste soudanais très connu, Hammour Ziada, lequel vit en Egypte parce qu'il a été banni du Soudan. Amjad Abu Alala a lu son récit en 2016 et a tout de suite su qu'il serait la base de son premier film. Il se rappelle : « Cette histoire rimait de façon précise avec mon enfance. Je suis quelqu'un de plutôt joyeux : j'aime la vie, j'aime la fête, je bois, etc. Mais la mort est toujours présente quelque part dans mon esprit. Quand j'étais beaucoup plus jeune, au Soudan, j'ai perdu à trois mois d'intervalle mon meilleur ami et l'une de mes tantes. Ces deux décès m'ont dévasté. Je n'ai plus parlé pendant des mois. Quand j’ai commencé à étudier le théâtre à l'université, je me suis remis à beaucoup parler - et je n'ai plus arrêté depuis ! J'ai enrichi l'histoire d'Hammour Ziada de mes propres souvenirs.Muzamil a peur de nager dans le Nil ? Moi-même je ne nage jamais, ni au bord des plus belles plages, ni à la piscine. J'ai habillé Sakina, la mère de Muzamil, et la vieille dame du village comme ma mère et mes tantes s'habillaient pendant la période de deuil de deux ans : en noir pour l'une, en blanc pour l'autre. Quand Suleiman projette des extraits de films à Muzamil, c'est aussi le souvenir de mon oncle Rashed. Il travaillait en Arabie Saoudite avant de rentrer un jour avec un projecteur : il nous montrait des films sans jamais parvenir à faire marcher le son. Mais on adorait ça ! »
« Tu mourras à 20 ans » montre comment une forte croyance peut affecter la vie des gens - et la façon dont cette foi peut être instrumentalisée politiquement. « Le gouvernement soudanais d'Omar el-Béchir a utilisé l'Islam pour faire taire le peuple - quand quelqu'un dit ‘C'est la parole de Dieu’, plus personne ne peut parler... Mon film est une invitation à être libre. Rien ni personne ne peut vous dire : voici votre destin, il est écrit quelque part. C'est à vous de décider ce que sera votre vie. C'est ce que Suleiman essaye d'expliquer à Muzamil. Muzamil n'est pas allé à l'école. Sa mère s'en explique : à quoi bon apprendre s'il doit mourir ?Pourquoi perdre du temps à lire d'autres livres que le Coran ? », précise Amjad Abu Alala.
Amjad Abu Alala et son équipe ont tourné dans le village de son père. Globalement, l'équipe des décors n'a rien construit : il s'agit du le village tel qu'il est encore aujourd’hui. Le metteur en scène se rappelle : « La nouvelle se passait là où Hammour Ziada a grandi, au nord du pays, près de l'Egypte. Je lui ai dit que je voulais situer l’action chez moi, au centre du Soudan. Cela fonctionnait même mieux, parce que le soufisme, cet islam mystique opposé au salafisme, est très fort dans cette région : la cérémonie au cours de laquelle le derviche s'évanouit est un rite soufiste. Le village est à trois heures de route au sud de Khartoum. La région est située entre les deux Nil : le Nil Bleu, que nous voyons dans le film, et le Nil Blanc, qui se rencontrent à Khartoum pour former le Nil qui part vers l'Egypte. »
Il n’y a aucune industrie cinématographique au Soudan. Quelques acteurs travaillent pour une toute petite production audiovisuelle ou pour le théâtre, mais jamais pour le cinéma. Amjad Abu Alala n'avait toutefois pas besoin d'acteurs professionnels pour tous les rôles du film. Il se souvient : « Pour Sakina et Suleiman, c'était nécessaire, les autres sont des non-professionnels. Pour Muzamil, j'ai rencontré 150 candidats, et à la toute fin de la seconde journée, Mustafa est apparu. Il a 21 ans, il travaille comme assistant médical mais veut se consacrer à la comédie. Il est intelligent, doué, et confondant de naturel. C'était le comédien que j'avais le moins besoin de diriger sur le plateau. La jeune femme qui joue Naima est mannequin au Soudan. Elle était bénévole au Festival de cinéma de Khartoum et j'ai été frappé par son énergie et son caractère : elle expliquait à des amis son combat contre un juge pour changer de nom. On a fait des essais le jour même, et c'était elle. »
Les personnages de Tu mourras à 20 ans parlent arabe avec un accent soudanais : au Soudan, les influences arabes et africaines se mélangent. C'est pour cela, selon Amjad Abu Alala, que le cinéma soudanais a un avenir. Le cinéaste ajoute : « C'est triste qu'un pays n'ait pas de cinéma national, mais c'est aussi une opportunité, parce que cela signifie qu'il y a beaucoup d'histoires qui n'ont pas été racontées. Et l'histoire du Soudan est très riche : l'histoire des pharaons, par exemple, est partagée entre l'Egypte et le Soudan. Mon film est seulement le huitième film de fiction jamais produit au Soudan. J'espère que nous pourrons le montrer à la prochaine édition du Festival de Khartoum, si la situation politique nous le permet. Et j'espère produire et réaliser d'autres films sur et dans mon pays. Je tente de produire un premier film sur la sécession du pays, en 2011, quand le Sud-Soudan est devenu indépendant : Goodbye Julia, qui sera réalisé par Mohamed Kordofani. »