C'est à croire qu'ils se sont eux-mêmes surpris. Une fois leur qualification pour les demi-finales arrachée contre les Fidji (30-24), dimanche 15 octobre à Marseille, plusieurs joueurs anglais trinquaient... avec des sodas et non de la bière, sur le parking du Vélodrome. Une présence dans le dernier carré de la Coupe du monde, où elle affronte l'Afrique du Sud, samedi 21 octobre (21 heures), était-elle si improbable que l'Angleterre en avait oublié ses fondamentaux ? C'est en tout cas la seule fois que le XV de la Rose a joué contre-nature, au milieu d'un tournoi sans fausse note.
Français et Irlandais éjectés par d'autres titans dès les quarts, les Anglais, huitièmes au classement World Rugby avant le début du Mondial, sont désormais les seuls survivants de l'hémisphère nord. Relevons d'emblée l'incongruité : à l'instar des Argentins, ils ont réussi une partie de leur tournoi dès le 14 décembre 2020, lorsque ce tirage au sort précoce les a placés dans la "bonne" partie du tableau, sans cadors. Cela ne fait pas d'eux des intrus à ce niveau, mais cela tempère une vision binaire selon laquelle la Rose serait la force européenne dominante.
Le mois d'août paraît loin
"Peut-être même dans cette pièce, beaucoup ne nous voyaient pas sortir des poules, mais on sera là la semaine prochaine", jubilait le sélectionneur Steve Borthwick en conférence de presse dimanche. La défiance ne se limitait pourtant pas au parterre de journalistes du stade Vélodrome. Elle résultait d'un Tournoi des six nations morose, marqué par la claque reçue contre la France à Twickenham (10-53), puis par une préparation calamiteuse avec pour point d'orgue un revers infamant et historique contre les Fidji (22-30).
Les doutes atteignaient en réalité à peu près tout le monde, si l'on excepte les 33 joueurs sélectionnés et le staff. "C'est parfois difficile quand les résultats ne suivent pas, mais ce genre d'expérience forge les esprits", abondait le deuxième ligne Maro Itoje en zone mixte. "Notre équipe a toujours réussi à se sortir de situations compliquées", complétait Steve Borthwick.
A 14, l'Angleterre s'est d'abord recentrée pour disposer de médiocres Argentins (27-10) et réussir son entame. Elle a ensuite battu à l'usure le Japon (34-12) et éparpillé le Chili (71-0) pour acter sa montée en puissance. Ce fut plus délicat contre les Samoa (18-17) lors du dernier match de sa poule, parfois asphyxiant face aux Fidji, mais la pièce est toujours tombée du bon côté et cela ne peut être dû au hasard.
"Il y a peu, l'Angleterre n'aurait pas réussi à le faire, mais cette équipe continue de progresser."
Steve Borthwick, sélectionneur de l'Angleterre après le quart contre les Fidjien conférence de presse
Nettement supérieurs pendant une heure en quarts, les Anglais ont vu leur avance fondre en quatre minutes, avant de se remobiliser et de l'emporter. L'épisode disait autant de leur fébrilité que de leur force mentale. "C'est vrai que cette équipe est forte dans l'adversité", confirme l'ouvreur Owen Farrell. Voilà donc cette Angleterre en demi-finales, devant l'immense défi sud-africain dans une revanche de la dernière finale. Celui-ci comporte forcément une part d'inconnu, puisque ces Anglais n'ont pas encore ferraillé avec une nation de ce calibre.
Prime à l'expérience mais pas au spectacle
Mais leur groupe compte une poignée de briscards déjà présents lors du Grand Chelem de 2016 et rompus à ces matchs décisifs. Dan Cole (36 ans), Courtney Lawes (34 ans), Owen Farrell (32 ans) et Jonny May (33 ans) démarreront samedi, et s'il existe quelques doutes quant à leur capacité à encaisser la cadence des Boks, leur expérience servira forcément. "Ce groupe est aussi soudé qu'en 2007 et sait ce qu'il doit faire", relève Steve Borthwick.
Le sélectionneur ne cesse de convoquer le souvenir de ce Mondial disputé en France, à l'époque où il occupait une place en deuxième ligne. L'Angleterre l'avait démarré par une déculottée contre l'Afrique du Sud (0-36) avant de poursuivre l'aventure jusqu'en finale. "On avait dû se remettre au travail et c'est ce que je retrouve dans cette équipe", poursuit-il.
Malgré ce parcours sans faute, le sélectionneur continue pourtant de crisper outre-Manche. Le jeu reste restrictif, et la domination anglaise se construit essentiellement devant ou dans le sillage des centres Manu Tuilagi (108 kg) et Joe Marchant (95 kg). "Ce sont toujours les minorités qui sont les plus bruyantes, mais il suffit de voir combien les gens au stade aiment leur équipe", répond Richard Wigglesworth, entraîneur de l'attaque.
Ce dernier a tout de même entendu le Vélodrome acclamer le prodige Marcus Smith, dont le repositionnement à l'arrière limite l'influence sur le jeu, absent la feuille de match face aux Boks car victime d'une commotion. A l'ouverture, le capitaine Farrell, même critiqué, reste inamovible. "Ce sont les plus grands arbres qui prennent le plus le vent", a imagé l'adjoint, botaniste d'un jour, Richard Wigglesworth. Le séquoia anglais, que l'on pensait rongé jusqu'aux racines, est maintenant proche de tutoyer les cieux. "Encore une fois, personne ne misera sur nous, mais les joueurs seront au rendez-vous", promet Borthwick. L'Angleterre a fini d'avancer masquée et veut désormais sa part du pudding mondial.