Syrie : pourquoi la chute du régime change tout ?
C dans l'air- Décryptage & investigation
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Une immense page se tourne au Moyen-Orient. Après cinquante ans de règne sans partage du clan Assad en Syrie, le régime est tombé. Bachar Al-Assad a pris la fuite et serait réfugié en Russie alors que dans la capitale on assiste depuis vingt-quatre heures à des scènes de liesse. Aux côtés des rebelles, le peuple syrien brandit désormais le drapeau aux trois étoiles, celui de la révolution débutée en 2011. Les lieux de pouvoir ont été pris d’assaut par la population. Dans plusieurs villes du pays, des bâtiments publics ont été incendiés et dans leur avancée les rebelles ont systématiquement ouvert les portes des prisons, à Hama, à Homs mais surtout celle de Saidnaya à proximité de Damas. Un établissement pénitentiaire qui a abrité des milliers d’opposants au régime, des hommes, des femmes et parfois des enfants, condamnés à subir des traitements inhumains, des viols, des humiliations, des privations et des exécutions. Selon l’ONG Amnesty International, entre 2011 et 2015 environ 30 000 détenus y sont morts.
Des exactions du régime et la guerre depuis les années 2010 qui ont conduit plus de 6,5 millions de Syriens à l’exil. Plus de 5 millions s’étaient réfugiés dans les pays voisins, en Turquie et au Liban, et certains ont déjà pris la route du retour en Syrie.
Mais comment expliquer l’accélération des évènements en Syrie ces quinze derniers jours et la chute du régime ? Qui sont les rebelles qui ont reversé Bachar Al-Assad ? Le tombeur du régime s’appelle Abou Mohammed Al-Joulani. Meneur du groupe armé Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d'Al-Qaïda en Syrie, il s'était fixé comme but de renverser le président Bachar al-Assad. L'air "confiant", "en plein jour et avec un dispositif de sécurité léger", il l'annonçait même à CNN vendredi dernier. Un objectif atteint dans la nuit du samedi à dimanche, quand les rebelles sont entrés dans la capitale pour proclamer "la ville de Damas libre" après quinze jours d’une offensive fulgurante dans le pays. Que sait-on de ce chef de guerre qui est parvenu à fédérer pour faire tomber la dictature en quelques jours ? Quelles sont les intentions de celui qui utilise désormais son vrai nom, Ahmed Al-Charaa, plutôt que son nom de guerre ? Depuis sa rupture avec Al-Qaïda en 2016, il tente de lisser son image et de présenter un visage plus modéré, sans forcément convaincre les analystes ou les chancelleries occidentales qui vont scruter ses agissements, alors que la manière dont la Syrie va être gouvernée demeure très incertaine.
Hier Joe Biden a salué la chute de Bachar Al-Assad. "Il devra rendre des comptes" a affirmé le président américain, saluant un "acte de justice fondamental" après des décennies de répression, mais aussi un "moment de risque et d'incertitude" pour le Moyen-Orient. L’armée américaine dont 900 soldats sont toujours déployés en Syrie a fait savoir qu’elle avait bombardé des positions de Daech dans le centre du pays. D’autres frappes ont été menées contre des dépôts d’armes et des positions du régime par Israël où Benyamin Netanyahou a ordonné dimanche à l’armée israélienne de prendre le contrôle de la zone tampon du Golan, à la frontière avec la Syrie.
"La Russie et l’Iran sont actuellement affaiblis, l’une à cause de l’Ukraine et d’une mauvaise économie, l’autre à cause d’Israël et de ses succès au combat", a analysé de son côté Donald Trump. Pas encore à la Maison-Blanche (il prendra ses fonctions le 20 janvier), mais déjà très actif sur le front diplomatique, le président élu a multiplié dimanche les publications sur sa plateforme Truth Social, à propos de la chute du régime syrien et de la guerre en Ukraine. Il a appelé Kiev et Moscou à un "cessez-le-feu immédiat", alors que Washington vient d’annoncer une nouvelle aide à l'Ukraine, assurant que le président ukrainien "aimerait conclure un accord", à la suite de sa rencontre impromptue à Paris samedi. "Nous voulons tous que cette guerre se finisse aussi tôt que possible et d'une manière juste", avait commenté pour sa part le président ukrainien, avant de mettre en garde : "Cette guerre ne peut pas se terminer simplement par un bout de papier et quelques signatures. Il faut garantir la fiabilité de la paix et ne pas fermer les yeux sur l'occupation" des territoires ukrainiens.
La Russie, pour sa part, a demandé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU pour ce lundi. Lors d'un point presse tenu ce lundi 9 décembre depuis Moscou, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a reconnu avoir été "surpris" par l'offensive éclair des rebelles en Syrie et a jugé "nécessaire" de discuter avec les futures autorités syriennes sur un éventuel maintien de la base navale russe à Tartous ainsi que d'un aérodrome militaire russe à Hmeimim.
Les experts :
- Frédéric ENCEL - Docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris, auteur de Les voies de la puissance, chez Odile Jacob
- WASSIM NASR - Journaliste spécialiste des mouvements djihadistes à France 24
Chercheur au Soufan Center de New York, auteur de L’État islamique, le fait accompli, publié chez Plon
- Elsa VIDAL - Rédactrice en chef de la rédaction en langue russe de RFI, autrice de La fascination russe”, publié chez Robert Laffont
- Ariane BONZON - Journaliste au Monde diplomatique et pour Slate.fr, ancienne correspondante à Jérusalem et Istanbul
- Hélène KOHL ( en duplex) - Correspondante en Allemagne, « Le Podkast », 1er podcast en français sur l’Allemagne
Présenté par : Caroline Roux, Axel de Tarlé
Maison de production : France Télévisions / Maximal Productions