« Une expression abdominale a failli me tuer »
La maison des Maternelles- 28 min 52 s
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L’expression abdominale est définie par la Haute autorité de santé comme « l’application d’une pression sur le fond de l’utérus avec l’intention spécifique de raccourcir la durée de la 2ème phase de l’accouchement ». Cette pratique est interdite officiellement depuis 15 ans. Mais selon une enquête du Ciane datant de 2017, 1 femme sur 5 affirmerait en avoir subi une. C’est le cas de Lucie, mère de 3 enfants : Maël, 6 ans, Téa, 3 ans et Noé, 9 mois. Pour LMDM, elle revient sur la naissance de son fils Noé.
Le 5 octobre 2020 dans la journée, Lucie ressent des contractions. Enceinte de son 3ème enfant, Lucie sait que l’accouchement va arriver, elle est sereine. Vers minuit, elle se rend à la maternité. L’équipe médicale lui fait un monitoring et la dirige en salle de travail assez rapidement, on lui pose une péridurale. Lucie commence à pousser :
« Pendant les premières poussées, ça se passe bien. Puis, arrive un moment où j’avais l’impression de pousser dans le vide. Le sage-femme m’a rassurée, en me disant que je poussais quand même. Il m’a conseillée de me reposer entre 2 contractions, et qu’il m’indiquerait quand pousser de nouveau. »
Le sage-femme est très présent pour Lucie, il lui explique tous les gestes qu’il fait. Mais, alors que tout semble bien se passer, les choses vont rapidement dégénérer :
« Pendant que je poussais, j’ai senti une forte douleur au niveau de l’abdomen. Ça m’a surprise car comme le sage-femme m’expliquait tout et me demandait tout avant de me faire quoi que ce soit, j’ai été vraiment prise de court que quelqu’un d’autre intervienne, sans même m’avoir adressé la parole. »
C’est un interne qui a rejoint la salle d’accouchement et qui est en train de faire à Lucie une expression abdominale. Lucie se souvient du moment :
« La douleur était très forte. J’ai vu ses mains qui étaient pointées, profondément dans mon abdomen. Mon ventre était enfoncé. Ça m’a coupé la respiration. J’ai paniqué. En fait, j’avais déjà subi une expression abdominale, avec les avant-bras, pour mon premier accouchement. À l’époque, je ne savais pas que c’était interdit et ça m’avait fait très mal aux côtes, ça m’avait choqué visuellement. Je n’avais appris que par la suite que c’était interdit, et que les répercussions pouvaient être graves. »
Lucie demande au médecin d’arrêter, mais il ne l’écoute pas. Elle le pousse. Lorsqu’il retire ses mains, Lucie ressent alors une douleur encore plus forte :
« Lorsqu’il a retiré ses mains, j’ai ressenti une douleur immense qui s’est répandue dans tout mon corps. Lorsqu’on ressent une douleur pareille, on sait que ce n’est pas normal. J’ai commencé à avoir mal au bras gauche, à moins bien voir, à moins bien entendre. J’ai compris que je n’avais plus beaucoup de temps pour m’exprimer : il fallait que j’explique à l’équipe médicale où j’avais mal, pour les guider. Ils étaient focus sur l’accouchement : ils me disaient : "C’est normal, c’est les contractions, vous êtes en train d’accoucher". Mais moi, je savais que ça n’allait pas. »
Gaël, le mari de Lucie, alerté par sa femme, intervient pour que l’équipe médicale prenne en compte l’état de Lucie. Finalement, les soignants se rendent compte que les choses ne vont pas bien pour la jeune mère. Elle raconte :
« Le sage-femme arrive à sortir le bébé, mais moi je me sentais partir. Je perdais mes capacités. J’ai dit à mon mari que j’allais mourir, il a insisté auprès de l’équipe médicale en disant que ça n’allait pas. Ma bouche avait changé de couleur. »
Leur fils Noé nait mais il manque d’oxygène, l’équipe médicale s’occupe de lui. À ce moment-là, Lucie perd connaissance. L’équipe médicale ne fait pas tout de suite le rapprochement avec le geste qu'elle vient de subir. C’est aussi le début du calvaire pour le mari de Lucie : on lui demande de sortir de la salle, l’équipe médicale vient le voir régulièrement pour lui donner des nouvelles mais ne trouve pas ce que Lucie a. Elle perd beaucoup de sang :
« Ils m'ont fait une échographie abdominale et se sont rendu compte que je faisais une hémorragie. Ce qui leur a fait perdre du temps, c’est que lors d’un accouchement on pense à une hémorragie de la délivrance, de l’utérus. Ils ont d’abord regardé à ce niveau-là. Donc ils m’ont ouvert du pubis au nombril pour trouver la source de l’hémorragie, mais n’ont rien trouvé. Ils ont appellé des chirurgiens en renfort, qui ont décidé de m’ouvrir jusqu’en haut du ventre, pour chercher d’où venait l’hémorragie. Ils ont alors découvert que l’artère splénique était complètement détachée de la rate. »
Les médecins opèrent Lucie sur place pour réparer l’artère, puis elle est transférée dans un autre hôpital. Elle se réveille 24 heures plus tard :
« Quand je me suis réveillée, j’étais dans un autre hôpital. Je n’avais pas du tout conscience de ce qu’il venait de se passer. Je voulais juste savoir si mon bébé allait bien. On me rassure en m'expliquant que Noé va bien, qu'il est resté dans l'autre hôpital. On me demande si j’ai mal, je montre mon ventre. Je ne savais pas que j'avais été opérée, je pense donc à une épisiotomie. On m'explique que j'ai eu une laparotomie. J'ai fait le lien tout de suite avec l'expression abdominale. C'est d'ailleurs la première chose que j'ai dite quand on m'a interrogé. »
Lucie va pouvoir prendre son fils Noé pour la première fois dans ses bras 4 jours plus tard. Un moment difficile pour la jeune maman :
« Mes 2 premiers enfants, je les ai allaité 2 ans, j’ai toujours été très fusionnel avec eux. Donc pour Noé c’était très dur de ne pas l’avoir avec moi. Heureusement, le papa a assuré, il est resté à la maternité avec Noé. »
L’expression abdominale qu’elle a subie a aussi eu des conséquences sur sa santé :
« Au niveau de la santé c’est compliqué, j’ai toujours des mauvaises nouvelles à chaque nouveau rendez-vous. Tous mes organes ont souffert. On m’a annoncé qu’on ne savait pas si je pourrais ré-ovuler un jour, c’est très dur. »
À ce jour, Lucie n’a pas porté plainte contre la maternité. Elle souhaite en revanche sensibiliser sur ce sujet en racontant sur histoire.