Bébé secoué : « Tom est mort dans mes bras, il avait 4 mois »
La maison des Maternelles- 28 min 2 s
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En juin 2014, Bertrand et sa femme, déjà parents d’un garçon de 2 ans, accueillent le petit Tom. Le couple, qui est déjà passé par là pour l’aîné, se met à la recherche d’une assistante maternelle qui puisse accueillir leurs deux enfants dès la rentrée de septembre :
« Notre première nourrice qui a gardé mon fils aîné pendant 2 ans était extrêmement maternelle. On avait toute confiance en elle. Malheureusement, elle n’a pas eu l’extension d’agrément pour un enfant de plus. On a rencontré beaucoup de nourrices et on a choisi celle qui correspondait le mieux à nos critères (pas de tabac, maison propre, bonne organisation pour le couchage des enfants…). »
Une fois le contrat signé et la confiance installée, les enfants font 2 semaines d’adaptation avec la nourrice. Tom a 3 mois et son grand frère 2 ans. Les parents restent alors 1 heure sur place à différents moments de la journée. À parti du 15 septembre, la nounou garde les enfants à plein temps 4 jours par semaine. Un vendredi, Bertrand va récupérer ses enfants :
« Les enfants et la nourrice étaient dehors. Tom portait juste un torchon en guise de manteau alors qu’il faisait assez frais. Il était blanc, il n’avait pas l’air bien. Il a un peu régurgité. Je me suis inquiété. J’ai demandé à la nourrice qui m’a dit que tout s’était bien passé. La passation a duré moins de 20 secondes, elle ne m’a même pas fait rentrer chez elle. Nous sommes restés sur le bas de porte et elle est rentrée chez elle. »
Une rhino-pharyngite diagnostiquée
Sur le trajet du retour, Tom s’endort dans son cosy. En arrivant, Bertrand aide son aîné à s’habiller pendant que le cadet est toujours assoupi. Puis Tom se réveille et se met à vomir. Le couple décide donc de se rendre chez leur médecin traitant dès le lendemain matin.
Le docteur conclue que Tom a une rhino-pharyngite car sa gorge est irritée. Le couple repart avec une prescription de médicaments et ne constate pas, durant le week-end, d’amélioration chez leur fils. Toujours persuadés qu’il est malade, ils le confient à nouveau à la nourrice le lundi matin :
« Je suis parti en déplacement professionnel et le mercredi soir, je reçois un coup de fil de mon épouse. Elle avait appelé la nourrice dans la journée pour voir si Tom prenait mieux ses biberons, pour savoir comment il allait. Devant les réponses évasives et peu cohérentes de la nourrice, elle a décidé de le récupérer et de l’emmener à l’hôpital. L’état de Tom se dégradait. »
Puis, une allergie au lait de vache...
Une fois à l’hôpital, Tom est pris en charge car il vomit à nouveau. Il est nourri à la seringue et on lui installe une sonde dans l’estomac. Les médecins concluent alors à une allergie aux protéines de lait de vache et prescrivent un lait particulier à acheter en pharmacie. Les parents sont soulagés, un diagnostic est posé sur les maux dont souffre leur fils. Le lundi matin, les enfants retournent chez la nourrice :
« J’avais pris une journée de congé et j’ai reçu un message de mon épouse à 14h me demandant d’aller rapidement chez la nourrice. Tom avait fait un arrêt cardiaque. Mon épouse est arrivée avant moi sur place. C’est elle qui a dû commencer le massage cardiaque (elle est chirurgien-dentiste) tout en expliquant la situation par téléphone au SAMU. De mon côté, j’ai sauté dans ma voiture pour me rendre chez la nourrice. Sur la route, j’ai croisé le SAMU sirène hurlante, je les ai laissés passer et j’ai compris qu’ils prenaient la même direction que moi, cette ambulance était pour Tom. Arrivé sur place, je vois un pompier sur mon fils lui faisant un massage cardiaque. Tom ne portait que sa couche. Le SAMU a pris le relais. Ils ont fait un travail exceptionnel : médicament, choc électrique. Après de longues, très longues minutes (une dizaine de minutes environ) son cœur repart. Et il est envoyé en hélicoptère au CHU de Besançon »
La nourrice leur explique qu’il ne s’est rien passé, elle semble inquiète. Les parents pensent directement à une mort subite du nourrisson. Pendant que les grands-parents prennent en charge l’aîné, ils se rendent au chevet de Tom :
« On a retrouvéTom dans la salle de réanimation pédiatrique. Il était déjà branché de la tête aux pieds, des électrodes partout, des tuyaux dans la bouche et dans le nez. Il était dans le coma. Les médecins nous ont posé beaucoup de questions. On leur a donné tous les éléments que nous avions de son hospitalisation quelques jours plus tôt. Ils font des premiers examens. »
Le SBS : syndrome du bébé secoué
Le lendemain soir, la neuro-pédiatre convoque le couple. Et la terrible nouvelle tombe :
« Elle nous annonce que Tom a été maltraité, secoué à 3 reprises. Alors que je suis encore dans le bureau de la neuro-pédiatre mon téléphone sonne, c’est la nourrice. Elle n’arrêtait pas de nous envoyer des textos. La neuro-pédiatre m’a conseillé de ne pas répondre. »
La neuro-pédiatre qui connaît bien le syndrome du bébé secoué leur conseille de porter plainte contre X, ne sachant pas qui de la nourrice ou d’un tiers a pu secouer Tom. De son côté, elle fait un signalement au parquet. Pendant que le bébé reste à l’hôpital :
« Tom est resté 12 jours à l’hôpital. 12 jours de coma, 12 jours à voir mon fils tenu en vie grâce à un respirateur. On l’a accompagné pour différents examens notamment des IRM cérébrales pour voir l’évolution de ses hémorragies. Il avait plusieurs hémorragies cérébrales et une hémorragie rétinienne. Je prenais les choses jour après jour. Pour moi, il n’y avait rien d’impossible. J’espérais voir mon fils en vie même avec un handicap. Mon épouse, de son côté, se rendait compte de ce qu’il se passait, elle savait que son cerveau était trop abîmé. »
Le décès de Tom
Au bout de 12 jours, le couple prend la décision la plus douloureuse qu’il soit : arrêter les soins. Bertrand explique :
« Les médecins nous ont expliqué que son cerveau avait atteint un point de non-retour. On ne pouvait plus le récupérer. La seule solution c’était de le débrancher. J’ai demandé à voir tous les examens pour vérifier qu’on n’avait rien loupé. Deux fois auparavant des professionnels de santé n’avaient pas donné le bon diagnostic (notre généraliste qui avait conclu à une rhinopharyngite puis l’hôpital qui avait diagnostiqué une allergie). Mais même pour un non-initié les hématomes étaient suffisamment gros pour se rendre compte que le cerveau de Tom s’atrophiait. À l’encéphalogramme, il n’y avait aucune activité cérébrale. On voyait qu’il souffrait. Le 12 octobre à 14h, je l’ai accompagné pendant les 2h20 dont il a eu besoin pour partir sans aide des machines. Il est mort dans mes bras. Il avait 4 mois. »
Une procédure judiciaire a ensuite été lancée contre la nourrice. Pendant plusieurs années le couple n’a jamais obtenu de réponses à ses questions :
« Les expertises, contre-expertises et le procès ont duré 4 longues années. Pendant toute la durée de l’enquête, la nourrice a toujours refusé de répondre aux questions des policiers. Elle a fini par reconnaitre 2 secouements sur les 3. Elle n’a jamais expliqué pourquoi, ne s’est jamais excusée, n’a jamais eu aucun geste vers nous. La cours d’assise l’a reconnu coupable : 7 ans de prison ferme et 5 ans sans droit d’exercer. »
Essayer de se reconstruire
Après cette douloureuse épreuve, Bertrand et se femme décident de continuer à agrandir la famille :
« Notre troisième fils est arrivé 18 mois après la mort de son frère et son arrivée a fait partie de notre reconstruction. Le gynécologue de ma femme a pris particulièrement soin de nous pendant cette grossesse. Nous avons rencontré́ un psychologue exceptionnel qui a continué à nous suivre même après la naissance. Ma femme avait d’énormes inquiétudes à la naissance de notre troisième bébé. Le traumatisme de la mort de Tom l’empêchait de laisser notre bébé même le temps d’aller aux toilettes (il y avait un autre couple dans la chambre de la maternité). La naissance de notre fille a été plus sereine. Nous étions plus loin dans notre cheminement. »
Le frère aîné de Tom n’a pas oublié son cadet et subit, encore aujourd’hui, les répercussions du traumatisme de sa perte :
« Aujourd’hui, c’est un garçon très émotif. Il a perdu son insouciance, il sait ce qu’est la mort. Parfois un soir, il va se mettre à pleurer en nous disant que Tom lui manque, qu’il est triste, qu’il ne comprend pas pourquoi on lui a fait du mal. Ça arrive par vague sans prévenir. Si son petit frère ou sa petite sœur passent devant la photo de Tom et disent : "Il est moche ce bébé", ça le met en colère : "Non ! On ne peut pas dire ça." Pareil s’il voit un enfant secouer un doudou : "Non ! On ne secoue pas. Ça tue !" À 6-7 ans, un enfant ne devrait pas penser ça. Quand il va à la piscine, il ne veut pas mettre la tête sous l’eau parce qu’il a peur de mourir. Il a 8 ans aujourd’hui et il pense parfois comme un adulte. C’est un crève-cœur pour nous qu’il ait subi ça. Les conséquences du décès d’un frère sur la fratrie sont terribles. »
Informer pour lutter
Aujourd’hui Bertrand a un combat : alerter, informer et éduquer sur le syndrome du bébé secoué. Il raconte :
« J’ai eu besoin de transformer ma colère en quelque chose de positif. Je n’ai pas réussi à sauver Tom mais je fais en sorte que sa mort serve à quelque chose. Pour lutter contre cette maltraitance qu’est le syndrome du bébé secoué (SBS), la prévention est le seul levier. Une étude canadienne a démontré une réduction de 46% du SBS lorsque les parents reçoivent une intervention éducative à la naissance de leur enfant. Je fais de la prévention depuis 4 ans avec l’association Enfance et Partage. Si mon témoignage peut permettre de sauver un bébé, c’est important. Le SBS, ça touche tout le monde, toutes les catégories socio-professionnelles. Tout le monde peut être à bout. Quand on se sent dépassé par les pleurs de son bébé, il faut le poser bien en sécurité sur le dos dans son lit, quitter sa chambre et se calmer. Ne pas savoir gérer les pleurs de son bébé et demander de l’aide ne signifie pas être un mauvais parent. Au contraire, savoir demander de l’aide, c’est une force. »