« Il n’y a pas un lycée en France où il n’y ait pas une fille qui se prostitue »
La maison des Maternelles- 37 min 33 s
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Nina est bonne élève, championne de natation. Sur le papier tout semble parfait. Mais l’adolescente devient la cible de moqueries sur ses origines asiatiques. D’une petite fille heureuse et bien dans ses baskets, elle passe à une adolescente renfermée qui souffre et qui va chercher à évacuer son mal-être en passant beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et en cherchant à transgresser les interdits, comme en témoigne Thierry son père :
« Ça a été crescendo. Au départ c’était des retards, des mensonges pas très graves puis des fugues et des nuits complètes dehors et puis elle ne rentre plus. Et dans cette volonté de vouloir laisser une autonomie et une forme de liberté pour que son enfant s’éprouve et grandisse, on était dans la fermeté et la souplesse pour qu’elle fasse sa vie d’ado. Et on s’aperçoit que ça dérive très vite ailleurs.»
Les parents de Nina sont dépassés. Un soir, ne sachant plus où se trouve leur fille, ils géolocalisent son téléphone et envoient le signalement à la police qui la retrouve chez un dealer de 28 ans, alors que l’adolescente est encore mineure.
Financer ses soirées
Sorties, fêtes, alcool, cannabis… Nina doit trouver des moyens de financer ses soirées festives. Elle va d’abord voler ses parents, puis aider son dealer qui va lui conseiller de se lancer dans l’escorting pour gagner de l’argent. Les parents de la jeune fille ne sont pas au courant. C’est une assistante sociale qui les alerte. Après que Nina ait fait plusieurs fugues, la professionnelle évoque la possibilité que l’adolescente puisse se prostituer. Ses parents refusent d’y croire. Alors qu’ils la cherchent à nouveau après une fugue, ils décident d’entrer le numéro de téléphone portable de leur fille dans un moteur de recherche. C’est le choc pour le couple, comme se rappelle Thierry :
« Là, les premiers sites qui apparaissent sont des sites d’escort. Puis mon épouse tombe sur une photo sur un site d'escorting où elle reconnait sur une annonce son ensemble de lingerie qui avait disparu de son placard peu auparavant... On la reconnaît et là c’est un choc énorme. Nous nous sommes demandés après cette découverte si le problème ne venait pas de nous. »
Le père de Nina passe alors par plusieurs phases émotionnelles :
« Cette découverte n’est pas vraiment une surprise. C’est la malheureuse confirmation de ce que l’on pensait. Moi ça a été très simple j’ai décidé de ne pas visualiser ça. J’ai mis de côté. Je n’y ai mis aucune image pour ne pas sombrer. J’ai mis un mouchoir dessus. Et après il y a eu un petit déclic : j’étais en voiture quand j’ai entendu une interview du psychiatrique Boris Cyrulnick sur la résilience. J’ai coupé et je me suis dit : "Nina est une prostituée. Elle fait des choses. Il faut que tu acceptes qu’elle les fasse." Et ça m’a aidé. »
Un viol à 15 ans
Ce n’est que quelques années plus tard que Thierry apprendra une nouvelle terrible : Nina s’est faite violer alors qu’elle n’avait que 15 ans et qu’elle n’avait jamais eu de relation sexuelle. Son père se souvient :
« J’ai deux sentiments qui me restent. D’abord celui que le monde s’écroule. C’est un uppercut. Je me suis servi un whisky. J’ai allumé une clope dans le jardin et j’ai pleuré. Puis, est arrivé ensuite le sentiment que cela expliquait beaucoup de choses. Il y avait une rupture entre son corps et son esprit. Elle n’accordait pas de valeur a son corps. »
Le couple cherche un appui auprès des forces de l’ordre pour retrouver leur fille qui fugue constamment et se prostitue. Mais ils déchantent :
« On a dû déclarer une quinzaine de fugues en tout et à chaque fois nous subissions un interrogatoire de la part de la police qui n’allait pas la chercher alors qu’elle était mineure. Dans deux cas précis, ils ont été la chercher immédiatement mais dans 80 % des cas il ne se passait rien. »
Les parents de Nina doivent supporter des propos terribles :
« Ce qui m’a sidéré le plus c’est l’incompréhension de la brigade des mineurs et des services sociaux. Mais surtout notre premier rendez-vous avec la juge qui nous dit que cette histoire allait mal se terminer, que si elle se prostituait elle allait finir dans un coffre de voiture. »
Le couple se retrouve seul à devoir gérer cette situation car les services publics ne peuvent rien pour eux :
« Malgré toutes nos alertes, nous avons passé ces deux années dans une grande solitude. Les services sociaux, police, gendarmerie et la justice sont très doués pour l'urgence. Mais c'est beaucoup plus compliqué quand il s'agit d'un problème qui dure. Et encore d’avantage quand les parents ne sont pas, a priori, défaillants, négligents ou violents. Ils ne sont pas préparés à ça. Ils n’ont pas la connaissance ils réagissent par rapport à des stéréotypes. Si la fille se prostitue c’est que la famille dysfonctionne, point barre. »
« Papa vient me chercher »
C’est un message qui va tout changer. Un soir Thierry reçoit un message vocal : « Papa vient me chercher ». Il envoie la police qui retrouve Nina dans un parc en hypothermie. Tout basculera à ce moment-là. Ce message, Thierry le reçoit car il n’a jamais coupé le lien avec sa fille. Le téléphone est « leur fil d’Ariane » comme il aime à le décrire. Un maintien du lien qu’il conseille à tous les parents qui sont dans une situation similaire :
« Gardez ce lien là même si ce qu’ils font dépasse votre morale, vos valeurs, vous donne envie de vomir. Ne rejetez pas votre enfant. C’est vital de garder ce lien car la gamine qui se retrouve dans un enfer et qui ne peut pas rentrer chez elle, se retrouvera dans une situation où elle acceptera tout. L’ado ne saura pas vers qui se tourner. »
Apprendre à se reconstruire
Aujourd’hui la famille réapprend à vivre ensemble. Nina passe son baccalauréat cette année. Le père et la fille ont écrit un livre. Il a eu un effet thérapeutique sur l’adolescente et lui a permis de diffuser son expérience et son message pour que d’autres adolescents et parents sachent que cela existe mais aussi qu’il est possible de s’en sortir.
Si la page de cette vie est tournée pour la famille, ce n’est pas le cas de leur combat. Ils ont rencontré au mois de juin 2020 Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la jeunesse et de la famille pour mettre en place une commission de travail sur la prostitution chez les jeunes qui a démarré en septembre dernier :
« Nous voulons faire prendre conscience que la société évolue et qu’elle évolue très vite. Il n’y a pas un lycée aujourd’hui en France où il n’y ait pas une fille qui se prostitue. »