2 enfants par classe victimes d’inceste : il faut briser la loi du silence
La maison des Maternelles- 10 min 44 s
- extrait
- tous publics
Du même programme
- La maison des Maternelles La maison des Maternelles La maison des Maternelles à votre service diffusé le 21/11 | 33 min
- La maison des Maternelles La maison des Maternelles Émission du jeudi 21 novembre 2024 diffusé le 21/11 | 22 min
- La maison des Maternelles La maison des Maternelles La maison des Maternelles à votre service diffusé le 20/11 | 33 min
- La maison des Maternelles La maison des Maternelles Émission du mercredi 20 novembre 2024 diffusé le 20/11 | 22 min
C’est le séisme de cette rentrée littéraire : La Familia Grande. Camille Kouchner y raconte les viols répétés subit par son frère jumeau alors que celui-ci était adolescent, victime de son beau-père,le politologue Olivier Duhamel.
Le livre raconte l’emprise d’un homme, puissant, sur sa famille, l’entourage qui savait mais n’a rien dit, ni fait, et le sentiment de culpabilité des victimes. Le livre met le doigt sur le tabou de l’inceste, ce fléau qui touche toutes les classes sociales et enferme les victimes dans le silence. Arnaud Gallais a lui été aussi victime d’inceste. Il raconte qu’il lui a fallu de nombreuses années avant de pouvoir en parler à ses parents :
« J’ai été violé par un oncle entre l’âge de 8 et 11 ans, qui était prêtre missionnaire en Afrique, il travaillait auprès d’enfants là-bas, je vous laisse imaginer toute l’inquiétude que je peux avoir sur les ravages qu’il a pu faire. Il m’a fallu plus de 10 ans après les faits pour réaliser. J’étais devant un reportage à la TV sur les victimes d’inceste, et j’ai dit à mes parents, de manière très brute : c’est ce qui m’est arrivé. »
6 millions de français.es victimes
Les chiffres font froid dans le dos : 10% des français, plus de 6 millions de français, disent avoir été victimes de viol ou agressions sexuelles dans l’enfance. Arnaud Gallais témoigne :
« La réalité est sans doute pire ! Cela veut dire que des "affaires Duhamel" il y en a partout autour de nous : à nous de savoir ouvrir les yeux. Un livre comme celui de Camille Kouchner, est une réelle chance : ça met le doigt sur l’inceste, qui existe. Les chiffres sur les violences sexuelles sont terribles, on évalue à 165 000 enfants par an en France qui en sont victimes. 2 par classe. »
Des familles anéanties
« Là où je suis vraiment admiratif du courage de Camille Kouchner, c’est que là, c’est la famille qui se positionne. Bien souvent, comme dans mon cas par exemple, ce sont les victimes qui se positionnent et se retrouvent seul.es, et les choses sont complètement inversées. Ce que je trouve là très intéressant, c’est qu’il y a le courage d’une sœur. Ce qui est extrêmement difficile, on en parle peu finalement de la famille, mais qui est complètement anéantie. Briser la loi du silence, c’est aussi oser briser la quiétude familiale en quelque sorte.
Il faut encourager la parole des victimes ou des proches des victimes, c’est ce qu’a fait Camille Kouchner, protéger son frère, même si ce n’est pas à la sœur de protéger son frère mais bien aux parents… Mais on voit bien dans son livre la complexité du dysfonctionnement familial, et ce positionnement avec beaucoup de culpabilité. Mais j’insiste, ce n’est pas aux frères et sœurs de protéger l’enfant. »
Définir un âge de non-consentement
Arnaud Gallais milite aussi pour que le système judiciaire change, et notamment qu’un âge de non-consentement soit défini :
« Il y a la société, et il y a aussi la question de la loi. Nous on milite -je dis nous car on est nombreux, je pense notamment au docteur Marielle Salmona et bien d’autres- pour qu’il y ait un âge de non-consentement. Il faut savoir qu’en France, si on prend l’exemple de l’affaire Duhamel, il va falloir que la victime prouve d’une certaine manière qu’elle n’était pas consentante. C’est complètement ahurissant, ça dépasse l’entendement.
Nous on demande un seuil d’âge à 15 ans : c’est l’âge de la majorité sexuelle. C’était une promesse d’Emmanuel Macron au moment de la présidentielle, et on voit que ça peine à se mettre en place. C’est un système tellement répandu qu’il y a des résistances par rapport à ça. Et cette question du consentement, on peut même la reprendre au sens large par rapport au viol. La France a ratifié la Convention d’Istanbul, qui demande aux pays qui l’ont signée de redéfinir le viol au regard du non-consentement. En France, le viol est défini uniquement par la menace, la contrainte, la surprise, mais pas par le consentement. »
La question de la prescription
Le livre de Camille Kouchner relance également le débat du délai de prescription. Pour les crimes sexuels sur mineurs, ce délai a été allongé à 30 ans en 2018, mais des voix s'élèvent pour demander leur imprescriptibilité, en particulier pour l'inceste. Arnaud Gallais explique :
« On va souvent reprocher aux victimes de ne pas avoir parlé plus tôt. Or, vous avez un mécanisme, qui s’appelle la dissociation traumatique, qui fait que finalement, on accepte l’inacceptable, on est dans un état de sidération qui est fou, ça peut conduire à de la mémoire traumatique, ça peut conduire aussi à un moment donné, ce qui a été mon cas : j’étais immobilisé, il pouvait faire ce qu’il voulait de moi. »
L’inceste : premier interdit, premier tabou
« C’est la société entière qui doit évoluer. Souvent, on me parle en me disant « ton combat ». Ce n’est pas mon combat, c’est notre combat, un combat de société. Quand on parle de 165 000 enfants, c’est 165 000 familles brisées aussi. On est tous concernés par ça. Il y a aussi les auteurs. Si on veut protéger et prévenir, il faut qu’on arrête de fermer les yeux. C’est un tabou phénoménal. J’ai reçu assez peu de messages de soutien quand je suis sorti du silence… Il y a des gens qui me disent « ça me laisse sans voix » : ça gêne les gens. Je me dis que si je disais que j’étais un accidenté de la route, j’aurai de nombreux messages de soutien -mais c’est normal, c’est une réaction humaine. Et là, vous dites : j’ai été victime d’inceste, vous l’écrivez, vous avez des gens qui vous disent « ça me laisse sans voix » et qui vous regardent d’un air pas possible ! Moi ce que je souhaite c’est qu’on prenne conscience. L’inceste, c’est le premier interdit, c’est le premier tabou. »
Arnaud Gallais est directeur d’Enfant Present, un réseau de crèches préventives menant des actions spécifiques individuelles adaptées à chaque famille, un accompagnement socio-éducatif, médico-psychologique et un soutien à la parentalité. L’association a également lancé une plateforme d’écoute STP (Soutien Téléphonique Parental), un dispositif d’accompagnement pour les parents pendant la période de confinement. Il est également cofondateur de Prévenir et Proteger, un collectif regroupant 14 associations engagées contre les violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants.