Impact du port du masque : « Les bébés ont besoin des visages ! »
La maison des Maternelles- 4 min 13 s
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LMDM : Vous avez écrit une tribune dans Libération intitulée "Ne jetons pas les besoins des bébés avec l'eau du bain" : pouvez-vous nous en parler ?
Anna Cognet - Au mois de juin, dans le contexte de pandémie, avec ma collègue Célia du Peuty, nous avons été fortement interpellées par la décision du gouvernement de faire systématiquement porter des masques aux personnels dans les crèches. Ça a donné lieu à l’écriture d’une tribune dans Libération. On s’est questionnées fortement sur l’impact possible qu'il y aurait à dissimuler son visage à un bébé. On est tous conscient qu’un bébé n’est pas en mesure de comprendre le sens des mots totalement. Ils comprennent des émotions, des sensations, un ensemble un peu confus dont ils peuvent tirer des éléments.
Il est évident qu’une part très importante de leur compréhension de leur environnement va être émotionnel. Ça passe par la voix, le regard : il s’agit d’un ensemble construit autour du visage de l’adulte. L’expression du visage est toute aussi importante que les mots pour exprimer le message qu'on passe. Les petits ont besoin des visages. Les visages des adultes qui vont parler, exprimer, dire des choses. Ça les aide à rentrer dans le langage, la communication et l’échange avec autrui.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi le port du masque chez l'adulte peut affecter les bébés ?
Bien entendu, la crèche est un lieu important pour les enfants. La crèche est un lieu qui accompagne, qui rassure, qui participe à la tranquillité des parents, qui sécurise l’enfant. Il ne s’agit donc pas de se dire que les enfants sont en dangers à la crèche avec des adultes masqués. Les enfants y sont 5 heures par jour en moyenne, c’est long, mais c’est un temps qui est quand même court sur une journée complète, et les petits vont rentrer chez eux, voir des parents qui eux ne porteront pas le masque. Donc, pour leur développement, on ne peut pas s’imaginer qu’il y aurait des risques de retard de langage ou de développemental.
Ce que l’on sait en revanche, c’est que les enfants ne sont pas si à l’aise que ça avec la rencontre avec autrui, avec ce qui les sort de leur zone de confort. Bien sûr, ils ont besoin d’avoir des tiers, ne pas être plongés dans un quotidien fusionnel avec les parents. C’est bon pour leur développement d'avoir une sociabilité avec d’autres adultes rassurants, c’est une façon de découvrir le monde. Mais si cette rencontre se fait d’une manière qui les met dans une situation d’inquiétante étrangeté -puisqu'il s’agit de personnes étrangères, avec en plus le masque qui est inhabituel- cela peut créer des sentiments d’anxiété chez les bébés, avec du rejet ou du repli. Cela veut dire que pour ces enfants, la crèche peut devenir, dans ces conditions, ni traumatique ni dangereuse, mais inconfortable. Un moment où ils vont se couper de leurs émotions pour se sentir protégés et passer ce « mauvais moment ».
Ce n’est pas ce que l’on souhaite. Les crèches et leurs professionnels font depuis des années et des années un travail prodigieux d’accompagnement, de meilleures connaissances des besoins des tout-petits. Tous ces professionnels qui s’investissent ont permis beaucoup de choses très positives, en proposant par exemple des temps d’adaptations très bien faits, en incluant les parents, en s’adressant aux bébés de manière adaptée. Tout ça a été brutalement jeté avec « l’eau du bain » du masque ! Bien entendu, la santé physique est une priorité. Mais peut-être qu’on aurait pu un peu mieux penser la santé physique avec la santé psychique. Il me semble qu’il y a un risque à avoir complètement mis de côté les besoins du bébé avec cette idée très hygiéniste, le port du masque mais aussi tous les protocoles : plus d’adaptation, les parents qui n’ont plus le droit de rentrer dans la salle, etc… tout ça participe à rendre défavorable le moment d’accueil.
Selon vous, quelle serait les solutions pour palier à ces risques ?
Il faut être réaliste sur 2 points : il faut faire avec, on ne va pas pouvoir empêcher ces mesures, on les subit tous. Il ne s’agit pas de dire qu’on supprime les masques si ça semble sur le plan médical être une bonne solution. En revanche, il faut savoir que ça ne va pas être temporaire. Le masque, ça risque de durer. Il est impératif de réfléchir, ne pas faire les choses dans la précipitation. Peut-être qu’il y a déjà des masques plus adaptés, par exemple les transparents.
Ensuite, est-ce que progressivement on peut imaginer que les masques soient portés par les personnes symptomatiques uniquement, ou qu’ils soient retirés lorsqu’on est à une certaine distance de l’enfant par exemple ?
Tout.es les professionnels de crèche devraient pouvoir bénéficier d’une formation, même courte, pour expliquer les problématiques et pourquoi pas, leur proposer une manière de s’adapter différente. L’affectivité peut passer par autre chose. On pourrait imaginer qu’on rend notre voix plus expressive, plus adaptée à ce qu’on voudrait dire, être dans quelque chose de chantant, d’apaisant, et surement parler plus aux bébés. On a beau se dire que les choses vont passer par les yeux, ça reste très subtil, c’est difficile pour les bébés. Il faut ajouter des choses qui vont permettre de compenser cette part affective qui passe par le visage.
Est-ce que le port du masque a un impact pour les enfants plus grands ?
J’aurai tendance à dire oui, bien que plus l’enfant est grand et solide au niveau de sa structure psychique, que sa personne est construite, moins le port du masque va être dommageable. Mais la situation n’est pas confortable pour eux non plus.
En revanche, des enfants quel que soit leur âge, plus vulnérables – soit parce que les parents sont obligés de les laisser longtemps à la crèche, soit parce qu’ils ont des parents eux-mêmes en difficulté sur l’expression de leur affectivité, parce qu’ils travaillent beaucoup, ou sont fragiles sur le plan psychoaffectifs- et aussi les enfants qui ont des handicaps, mentaux ou physiques, ça va être une majoration de leur difficulté d’être entourés d’adultes qui portent des masques. Là où ils avaient besoin de compensation, d’être plus entourés par des adultes de qui on voit bien le visage, des contacts plus francs et directs, c’est compliqué.
Sachant qu'il n'y a pas eu d'études sur ce sujet spécifiquement, sur quels travaux basez-vous votre propos ?
Même s’il n’y a pas eu d’études sur le sujet, ce qui nous permet de fonder ce point de vue est en lien avec des travaux d’auteurs d’il y a déjà quelques dizaines d’années. On sait par exemple que les enfants qui passent des temps très longs dans des pouponnières, à l’hôpital par exemple, ont besoin vraiment d’avoir des contacts privilégiés et affectifs avec les adultes qui les entourent. Les nourrir et les changer, ça ne suffit pas. Je pense notamment aux travaux de René Spitz, psychiatre, sur l’hospitalisme [état dépressif qui se manifeste chez certains enfants séparés précocement de tout lien d’affection, NDLR]. Les enfants observés pouvaient régresser à des états autistiques gravissimes, ou des états de dépressions prononcés. Là, il ne s’agit pas de la même chose du tout, mais cela souligne qu’il y a un impact à cette vie au quotidien : les enfants ont besoin de nourriture affective.
On a aussi les travaux de Winnicott, pédiatre et psychanalyste, qui explique que le visage de la mère –« mère » au sens large, on parle de la personne qui prend soin de l’enfant- est le premier miroir de l’enfant. L’enfant va comprendre et connaitre ce qu'il vit, ressent, comprendre qu’il y a un « moi », grâce au retour que la mère va lui faire.