Un couple gay dans un film d'Hitchcock ? Ça existe ! C’est le cas dans le film "La corde" (1948), l’un des films les plus audacieux du réalisateur, connu surtout pour ses plans séquences inédits. Mais peu de gens savent que le scénario parle subtilement d’homosexualité, alors qu’à l’époque le Code Hays l’interdît formellement.
Le film commence par un meurtre, commis par deux jeunes dandys New-Yorkais, Brandon et Philip. Ils viennent de tuer leur camarade David dans leur appartement, pour l’adrénaline et des raisons intellectuelles un peu farfelues. En effet, l’acte est une façon de mettre en pratique la philosophie nietzschéenne de leur ancien professeur d’université, Robert (incarné par James Stewart). Pour pousser les sensations à leur comble, ils cachent le corps dans un coffre autour duquel ils organisent un dîner avec plusieurs convives, dont les parents de la victime !
À priori, il s’agit d’un thriller psychologique mais il y a une double lecture sociale, voire politique à ce film. Il est sous-entendu à plusieurs reprises que Brandon et Philip forment un couple gay. Les dialogues sont codés et font plein d’allusion à leur orientation sexuelle. Par exemple, après avoir commis le crime, Brandon en parle de façon sensuelle, faisant allusion à la petite mort. Leur cachoterie meurtrière devient ainsi une métaphore… Les protagonistes cachent à leurs proches ce qui peut paraître si évident, planqué au milieu de la pièce, dans un coffre, qui symbolise le secret que personne ne veut voir.
À l’époque, l’Amérique est en déni total sur l’homosexualité et tandis que la censure interdit formellement d’en faire référence au cinéma, Hitchcock prend un malin plaisir à en parler de façon détournée. Arthur Laurents, le scénariste du film, qui était d’ailleurs homosexuel, raconte dans ses mémoires : “Au studio Warner Bros, où le film a été tourné, on utilisait le mot « ça » pour désigner l’homosexualité. Aucun personnage n’était "ça".” Pourtant, Hitchcock lui a fait clairement comprendre qu’il voulait parler de “ça”.*
Ce qui est encore plus cocasse, c’est que l’histoire du film résonne profondément avec celle de Laurents, le scénariste, qui vit une histoire d’amour secrète avec l’acteur du film Farley Granger. Ils vivent ensemble à l’époque du tournage et ne savent pas si Hitchcock est au courant de leur idylle. Laurents raconte qu’un soir, tandis qu’ils sont tous deux invités à dîner chez Hitchcock, ils s’y rendent à deux voitures pour rester discrets. Persuadés que d’autres membres du cast seront là, ils sont surpris de découvrir qu’ils sont les deux seuls convives quand ils arrivent chez le réalisateur et sa femme Alma. Ils comprennent alors qu’il s’agit d’un “double date” ! Hitchcock est au courant mais cela ne pose aucun problème. Au contraire, la situation l’amuse gentiment. Laurents écrit : "C'était très hitchcockien : ça l’émoustillait que Farley joue un homosexuel dans un film écrit par moi, un autre homosexuel ; que nous étions amants ; que nous avions un secret qu'il connaissait ; que je savais qu'il savait - les lectures étaient infinies, toutes excitantes pour lui, non pas par méchanceté ou par sentiment de pouvoir mais parce qu'elles ajoutaient une touche d’espièglerie et que l’espièglerie était une qualité profondément désirable."*
Saurez-vous décrypter les indices cachés du Maître du suspense sur l’homosexualité ?
SOURCES :
*Original Story By: A Memoir of Broadway and Hollywood - ATHUR LAURENTS